Un sort difficile pour les étudiants africains réfugiés en Ukraine
Luxemburger Wort
Les étudiants sont souvent renvoyés dans leur pays d’origine alors qu’ils ne sont pas assurés d’un retour sûr et stable.
Des dizaines d’Africains fuyant la guerre en Ukraine se battent pour obtenir une protection juridique au Luxembourg, où des procédures longues et complexes les poussent souvent à tenter leur chance ailleurs en Europe.
Soufiane Bouirig – un étudiant marocain en médecine dentaire de 24 ans originaire d’Ukraine – a cherché refuge au Luxembourg juste après le début de la guerre, pensant qu’il serait facile de s’y déplacer parce qu’il parle français.
Mais le Grand-Duché lui a refusé le statut de protection temporaire que l’UE accorde aux réfugiés de guerre. Il a donc déménagé au Portugal, où il a obtenu ce statut, et est sur le point de commencer à travailler comme assistant dentaire.
«J’en avais tellement marre que je ne voulais pas faire appel», raconte Soufiane Bouirig – qui parle russe et ukrainien – dans une interview. Il souhaite toujours retourner à Poltava, la ville de l’est de l’Ukraine où il a étudié, car c’est là qu’il se sentait le plus chez lui.
Faire appel de la décision au Luxembourg aurait signifié une attente d’au moins trois mois, explique-t-il, passés dans différents logements pour réfugiés à travers le pays.
L’UE autorise les réfugiés de guerre ukrainiens à travailler et à aller à l’école. Ceux qui n’ont pas la nationalité ukrainienne «ne relèveront du régime de protection temporaire que s’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine de manière durable et dans des conditions sûres», a déclaré un porte-parole du ministère des Affaires étrangères en juillet.
Au Luxembourg, les personnes originaires d’Afrique et d’autres pays hors d’Ukraine ont beaucoup plus de chances d’essuyer un refus. À la fin du mois de juin, le Luxembourg avait refusé la protection à 108 personnes. Parmi elles, 25 étaient nigérianes, 13 camerounaises, 12 marocaines et 41 autres provenaient d’autres pays tiers.
Ce chiffre contraste fortement avec les 97 % de personnes qui avaient bénéficié de la protection temporaire à la fin du mois de juillet, sur un total de 4.563 réfugiés.
Une grande marge de manoeuvre
Les réfugiés sont convoqués à une réunion pour un premier entretien, et pour un second, en cas de problème. Ils peuvent faire appel d’un refus, mais cela ne leur donne pas le droit de rester au Luxembourg en attendant le résultat.
Les règles laissent au Luxembourg une grande marge de manœuvre pour décider qui peut rester et qui ne peut pas. La notion de «conditions durables et sûres» n’est pas claire, explique Frank Wies, avocat luxembourgeois spécialisé dans les droits de l’homme. Et si la Commission européenne a donné son avis sur la manière d’interpréter cette expression, cette recommandation n’est pas contraignante pour les tribunaux luxembourgeois.
Un étudiant africain avait tout vendu pour financer ses études et tous les autres liens avec son pays d’origine avaient cessé à la mort de sa grand-mère. L’affaire a été portée devant un tribunal luxembourgeois, où l’étudiant s’est vu répondre que si «vous pouvez aller en Ukraine tout seul, vous pouvez aussi [retourner] dans votre pays d’origine.»
Les Afghans et les Syriens d’Ukraine ont tendance à obtenir plus facilement la protection temporaire en raison de la violence dans ces pays, souligne Frank Wies.
«Vous devez vous battre»
Kevin Nguefack Tonleu est un Camerounais de 28 ans qui a étudié l’informatique à Kharkiv avant la guerre. Il est arrivé au Luxembourg le 29 mars, où il a dû attendre jusqu’à début juin pour un entretien avec le bureau de l’immigration.
Le Luxembourg a refusé sa demande et il a dû quitter le pays pendant qu’il faisait appel de la décision. Nguefack Tonleu est maintenant en Allemagne, mais «c’était plus facile au Luxembourg, car je parle français et anglais». Désireux de poursuivre ses études au Grand-Duché, il attend une réponse de l’université.
«Vous devez vous battre pour obtenir le statut de protection, vous devez faire tout ce qui est en votre pouvoir», confie de son côté Jean-Badell Tchapda, un étudiant camerounais de 29 ans qui a fui Kharkiv assiégée. Ayant obtenu un statut de protection au Luxembourg avec l’aide d’un avocat, il cherche maintenant à trouver un emploi.
Une chose qui rend la situation plus difficile pour les étudiants est que la politique de l’UE s’adresse aux réfugiés ayant une résidence permanente en Ukraine, dit Frank Wies, ce qui n’est pas le cas de nombreux étudiants étrangers – même si le Luxembourg a tendance à être généreux dans son interprétation des règles en examinant tous les permis de séjour, dit l’avocat Wies.
Les procédures peuvent également être longues pour les 5.000 Ukrainiens qui sont venus au Luxembourg, étant donné que les bureaux de l’immigration sont débordés et que les structures d’hébergement sont presque complètes. Mais presque tous reçoivent le statut de protection.
Frank Wies connaît ainsi un Ukrainien qui n’a pas été accepté. Originaire de Syrie, cette personne avait obtenu le statut de réfugié en Autriche. Il a ensuite déménagé en Ukraine où il a échangé son passeport contre des papiers ukrainiens.
Mohamed Lamine Bakayako, un Ivoirien de 32 ans, a fui la région de Lviv où il est résident permanent, a-t-il dit. Il a laissé derrière lui sa femme ukrainienne, qui voulait rester près de sa famille, dont certains membres combattaient à la guerre – pour découvrir que le Luxembourg lui refusait le statut de protection.
Il avait apporté une copie du passeport de sa femme et son certificat de mariage, mais contrairement à d’autres étrangers qui ont fui l’Ukraine – certains qui «n’étaient même pas mariés» et ne sont venus qu’avec leur petite amie – le Luxembourg n’a pas voulu qu’il reste.
«Il a fallu improviser parce que les choses devaient aller vite», explique l’avocat Wies, ce qui peut expliquer le cas de Bakayoko.