La petite fenêtre où les moins favorisés reçoivent plus qu’un simple sandwich gratuit

Stëmm vun der Strooss

Distribuer chaque jour des centaines de pains garnis aux personnes dans le besoin représente un énorme effort logistique. Un coup d’œil dans les coulisses de la «Stëmm vun der Strooss».

Chaque jour, Liliana Pereira distribue des centaines de pains aux personnes dans le besoin depuis sa fenêtre de la rue de Hollerich à Luxembourg-Ville. Pour chacun, elle a un mot gentil.  © PHOTO: Laurent Sturm

 

Les yeux des collaborateurs ont encore du mal à s’ouvrir, tôt un mardi matin de ce mois de janvier 2025, dans la zone industrielle de Sassenheim. Dans la cantine de la «Stëmm vun der Strooss», les collaborateurs de l’atelier thérapeutique «Caddy» prennent rapidement un café avant de commencer leur service. Depuis 2021, des personnes ayant des difficultés sociales, personnelles, professionnelles ou de santé, y sont prises en charge.

On y prépare notamment des repas pour les nombreuses institutions sociales du pays. En collaboration avec la Banque alimentaire et la chaîne de supermarchés Auchan, quelque 15,75 tonnes de nourriture sont ainsi sauvées de la poubelle chaque mois.

Dans les différentes cuisines, l’activité est intense. Au plus tard à 9 heures, 260 sandwichs doivent être prêts. Puis, un quart d’heure plus tard, ils sont chargés dans des camionnettes qui approvisionnent des institutions sociales dans tout le pays. Coordonner et organiser tout cela représente un énorme travail d’organisation.

Magalie, Haile, Maida et Amar étalent du beurre sur les pains et garnissent ces derniers. Charif et Rachid les emballent dans du film plastique et les placent dans des caisses vertes. Lara Fabian assure, elle, le soutien musical nécessaire au beurrage des pains garnis avec sa chanson «Si tu m’aimes». Même si beaucoup ne parlent pas la même langue, les 49 personnes qui travaillent au «Caddy» se comprennent quand même. «Il est important qu’ils se retrouvent ici», explique Chris, l’éducateur.

Un sourire gratuit avec chaque pain

Ponctuellement, 140 sandwichs quittent l’établissement de Sassenheim en direction de la capitale. Ils y sont accueillis peu après 12h30, rue de Hollerich, à l’institution sociale «Saxophone». Deux réfrigérateurs sont prêts et lorsque tous les petits pains sont bien rangés, Liliane Pereira lève les volets. Il y a des sandwichs au fromage, au salami ou à la volaille. Dehors, quelqu’un attend déjà. Liliane ouvre la fenêtre : «Bonjour, Monsieur! Porc ?», demande-t-elle gentiment. L’homme répond par l’affirmative, prend le pain et s’en va.

Peu de temps après, un jeune homme se présente à la même fenêtre, demande un petit pain. Avant d’exposer à Liliane ce qui le préoccupe aussi: depuis une semaine, il n’a plus de chaussettes. Elle n’en a pas sous la main, mais l’envoie une rue parallèle un peu plus loin, au «Kleederstuff» de la «Stëmm». Pour chacun, elle a un sourire, un «Bonjour, comment allez-vous aujourd’hui?»

Pour les gens, c’est un petit divertissement de pouvoir rire ensemble.

Liliana Pereira
Collaboratrice «Stëmm vun der Strooss».

Les uns viennent pour le sandwich, les autres pour discuter

Un peu plus tard, c’est au tour d’Antonio de frapper à la vitre. Liliana lui parle brièvement en portugais. Il va à peu près bien. Sa vie n’est pas facile en ce moment. Mais avant de tourner le coin de la rue, il ne peut s’empêcher de prononcer une dernière phrase: «Il dit que je suis une bonne personne», traduit Liliana avec émotion.

Pour les personnes auxquelles les travailleurs sociaux ont affaire au quotidien, ces courtes conversations signifient beaucoup. «Pour eux, c’est un petit divertissement de pouvoir aussi rire ensemble», dit Liliana.

Certains s’approchent de la fenêtre, attrapent un pain et s’en vont précipitamment. D’autres restent pour bavarder. Ils parlent de leurs problèmes dentaires, de l’état de santé de leur femme ou de la signature d’un nouveau contrat de travail. Interagir chaque jour avec des personnes qui n’ont pas la vie facile n’est peut-être pas facile pour tout le monde. Mais Liliana le fait avec enthousiasme. Elle a un lien particulier avec certains d’entre eux.

De nouveaux visages chaque jour

C’est le cas d’une dame âgée portant une veste noire, un bonnet beige mais aussi un grand sourire sur les lèvres. Liliana ne connaît pas son nom. Elles ne parlent pas non plus la même langue. Mais cela n’a pas d’importance à la fenêtre. «My favorite baby», dit la femme en riant, envoyant au passage quelques baisers à Liliana, avant de prendre un sandwich et de glisser un «Have a good day».

«Ici, nous sommes comme une famille», dit Liliana. La plupart font une courte halte sur le chemin qui mène du restaurant social de la «Stëmm vun der Strooss», quelques centaines de mètres plus loin, en direction de la gare. Mais la famille s’agrandit. De nouveaux visages s’ajoutent chaque jour. Surtout depuis la fin octobre, de plus en plus de personnes frappent à la fenêtre pour se procurer un sandwich. Beaucoup ont changé leur emploi du temps, leurs habitudes et cherchent refuge dans le Wanteraktioun (l’abri d’urgence de l’Action Hiver) pendant les mois froids d’hiver.

«Nous devons souvent expliquer aux gens qu’ils n’ont droit qu’à un seul pain. Une personne, un petit pain, nous devons respecter cela», souligne Alison Guillaume, éducatrice diplômée. Sinon, les petits pains ne peuvent pas être distribués équitablement. Car lorsque Liliana Pereira ferme les volets à 15 heures, les petits pains sont généralement tous partis. C’est dire si de nombreuses personnes doivent recourir à l’offre de «Stëmm vun der Strooss».

Cet article est paru initialement sur site du Luxemburger Wort.

Adaptation: Julien Carette