«Sale Portugais, retourne dans ton pays»
«Sale Portugais, retourne dans ton pays»: des victimes de racisme au Luxembourg témoignent
Vous êtes portugais? Immigré? Fils de parents portugais? Noir? Asiatique? Musulman? Si vous avez répondu oui à l’une de ces questions, vous avez probablement déjà été victime de racisme ou de discrimination au Luxembourg.
«Les propriétaires de la maison ont dit que j’étais devant leur garage et ont appelé la police. Quand je suis remonté dans ma voiture, j’ai entendu: “Sale Portugais, retourne dans ton pays”.» Ce n’est là qu’un des dizaines de témoignages rassemblés pour l’étude «Racisme et discrimination au Luxembourg. À l’écoute des victimes», que le Centre d’études et de formation interculturelles (CEFIS) vient de publier.
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Il s’agit du deuxième volet d’une étude, lancée en 2021, qui ambitionne d’identifier l’ampleur du phénomène au sein de la société luxembourgeoise. Ce nouveau volet de l’étude met l’accent sur l’aspect parfois inconscient de ce racisme, qui repose sur des stéréotypes profondément ancrés.
Aujourd’hui, les victimes de discriminations ont été entendues et les témoignages publiés dans cette étude ont un caractère choquant. Les comportements racistes visent toute personne qui n’est pas un «pur Luxembourgeois». «L’étude montre qu’il existe des formes spécifiques de racisme: contre les Noirs, contre les Asiatiques, contre les immigrés pauvres, contre les musulmans et contre les femmes noires, qui sont doublement victimes de racisme et de sexisme», explique Sylvain Besch, directeur du CEFIS, à Contacto
Dans une deuxième partie du document, les impacts destructeurs sur la vie des victimes du racisme et de la discrimination sont mentionnés. «Il y a une charge mentale qui se traduit par une pression psychologique vécue en permanence. Dès qu’ils se réveillent le matin, ils anticipent déjà les attaques racistes qu’ils subiront tout au long de la journée», ajoute l’un des auteurs de l’étude.
«Les témoignages de Portugais ou de personnes d’origine portugaise font état de discriminations dans le système éducatif, notamment dans le manque de soutien scolaire et l’orientation des écoles vers l’ancien enseignement technique», souligne-t-il, ajoutant que «l’école est le premier lieu du racisme et de la discrimination» au Luxembourg.
L’auteur de l’étude souligne également que, «pour certains enseignants, il est difficile d’imaginer que les élèves portugais puissent avoir des métiers autres que la construction ou le nettoyage, ce qui peut peser sur l’orientation scolaire». Et cela se traduit par une «perte de confiance en soi» qui commence très tôt, dès l’arrivée à l’école.
Les comportements peuvent aller jusqu’à des agressions physiques. En témoigne ce fonctionnaire trentenaire d’origine subsaharienne: «Je me souviens que j’étais à l’école primaire. Une enfant me disait des choses racistes. Alors, je l’ai remise à sa place. L’instant d’après, les 11 autres garçons de la classe étaient contre moi. Ils me couraient tous après dans la salle de sport. Je courais vers le coin, ils m’acculaient et me donnaient des coups de pied. Je me faisais battre par les plus grands.»
Le racisme se marque aussi dans le milieu du sport amateur, comme en atteste le témoignage de cette maman trentenaire, originaire de l’Afrique subsaharienne. «Mon fils joue bien au football. Il est capitaine de son équipe. Je vais le voir jouer et j’entends les Luxembourgeois demander: “Pourquoi c’est le Noir qui est capitaine?” L’entraîneur répond: “Nous ne donnons pas le brassard en fonction de la nationalité. Quand on est un bon joueur, un bon leader, on mérite le brassard”. Ils étaient furieux et, quand mon fils a eu le ballon, ils l’ont insulté! Pour ne pas m’énerver et avoir à réagir, je restais en retrait et je regardais mon fils jouer (…) ce sont les parents qui amènent le racisme dans les stades et parmi les joueurs, par leur comportement et leurs paroles.»
L’école, le travail, les transports en commun, les supermarchés sont autant de lieux de discrimination. Le monde du travail, plus particulièrement, témoigne lui aussi d’une diversité d’actes racistes ou discriminatoires, souligne le CEFIS dans le second volet de son étude, «car le faisceau d’acteurs concernés est multiple: entre collègues, avec la hiérarchie, avec les clients qui font pression sur l’entreprise (injonction à discriminer certains groupes racisés)».
Le racisme peut se marquer aussi sans le rapport de hiérarchie, entre collègues: «Je travaillais dans la restauration. Quand je faisais remarquer à mon collègue qu’il n’avait pas fait quelque chose correctement, il devenait tout de suite raciste. Il m’a dit : “Qu’est-ce que tu en sais, espèce de singe? Retourne dans ta cage!” Quand le rapport de force change, les insultes arrivent», assure une jeune femme d’Afrique subsaharienne.
Des formes de discrimination plus subtiles
Il existe également des formes de discrimination plus subtiles. «Il s’agit de micro-agressions qui peuvent prendre la forme de commentaires ou d’attitudes systématiques et réguliers. Quand, par exemple, quelqu’un cache son sac à l’approche d’une personne noire dans le bus», décrit Sylvain Besch. «Il peut même s’agir d’attitudes inconscientes, sans que l’on se rende compte du potentiel de nuisance pour la personne visée», ajoute-t-il.
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Et ce n’est que «la partie émergée de l’iceberg, car 90% des comportements sont invisibles et sont des stéréotypes inconscients qui conduisent à des comportements discriminatoires et à des commentaires et plaisanteries racistes», ajoute-t-il.
La discrimination est flagrante, par exemple, lors de la recherche d’un logement. Les rapports montrent que ces comportements discriminatoires ne sont pas accidentels ou inconscients, mais semblent être appliqués de manière systématique et avec une hostilité plus ou moins apparente, parfois avec la complicité des agents immobiliers.
«Je cherchais un appartement avec deux chambres pour les enfants, j’ai appelé. Je ne sais pas… peut-être qu’au téléphone le propriétaire a cru que j’étais une femme blanche, et nous avons très bien sympathisé. Il a accepté de me faire visiter les lieux et je suis arrivée avec mon fils, qui devait avoir 6 ans, donc il commençait à peine à comprendre les choses, et un bébé. Nous sommes arrivés, j’ai dit: “bonjour, c’est moi qui ai appelé pour voir l’appartement”. Il m’a dit: “Je suis désolé, mais je ne veux pas louer à une femme noire”.
Je suis restée là, avec le bébé dans les bras et mon fils à côté de moi, je tremblais. “Mais pourquoi?”, ai-je demandé. La réponse a été: “Je n’ai pas d’explication à vous donner. C’est comme ça. Il ne voulait même pas s’approcher de moi.
Femme d’Afrique subsaharienne âgée de 40 à 49 ans, employée administrative
La méconnaissance de la langue ou un accent particulier sont également des facteurs déclencheurs de discrimination. «En contact avec l’administration, quand on a un accent identifié comme différent, on se retrouve dans des situations où l’on est victime de comportements racistes», dit Sylvain Besch.
Il y a aussi les stéréotypes qui persistent et qui associent par exemple les Portugais à des migrants pauvres qui bénéficient du système d’aide sociale.
À cela s’ajoute l’absence de réaction des victimes, ce qui est inquiétant. «Le problème est que la première réponse des victimes est le silence, ce qui ne veut pas dire qu’elles acceptent la situation, mais elles choisissent cette stratégie pour préserver leur dignité et parce qu’elles craignent les conséquences. Et elles finissent par se réfugier dans leur famille et leur communauté, qui est un lieu de sécurité», décrit l’un des auteurs de l’étude. Mais les choses changent lorsque l’on s’intéresse à la deuxième ou troisième génération de migrants, qui choisissent de dénoncer, de contester et de porter plainte.
Des étrangers pour toujours
Et là, le concept de «vivre ensemble dans l’interculturalité» ou d’une intégration où les étrangers, ou la deuxième génération de migrants, seraient traités sur un pied d’égalité avec les Luxembourgeois apparaît comme un mirage. «Les immigrés noirs, asiatiques ou ayant un accent non luxembourgeois sont relégués au rang d’étrangers perpétuels», souligne Sylvian Besch.
«Même s’ils sont luxembourgeois, nationalisés, ils sont toujours renvoyés d’où ils viennent. Comme s’il était impossible d’imaginer qu’un Noir ou un Asiatique puisse être luxembourgeois. C’est un préjugé difficile à supporter pour quelqu’un qui a fait beaucoup d’efforts, qui a fait toute sa scolarité au Luxembourg, et qui suscite la révolte», révèle-t-elle. En pratique, «la couleur de la peau, la méconnaissance de la langue ou un accent peuvent déclencher une perception de différence par rapport aux ‘purs Luxembourgeois’», dénonce-t-elle.
Des pistes pour lutter contre les discriminations
Le rapport présente une liste de propositions pour tenter de réduire le racisme et les comportements discriminatoires à l’égard des étrangers ou des Luxembourgeois issus de l’immigration. L’une des idées est de «créer des espaces d’écoute sécurisés où les personnes peuvent partager leurs souffrances, lutter contre l’isolement et trouver des pistes pour faire évoluer la situation», suggère Sylvain Besch.
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En outre, tous les services en contact avec le public devraient recevoir une formation de sensibilisation. «Il faut lutter contre les stéréotypes et les préjugés à l’école, sur le lieu de travail ou lors de la recherche d’un logement», conclut-il.