«Défendre et promouvoir une langue ne doit pas se faire au détriment d’une autre»
Le 41e Festival des Migrations, qui met en lumière la diversité culturelle du pays, se tient ce week-end à Luxexpo. Parmi les associations présentes, d’Bréck défend et promeut le multilinguisme. Rencontre avec son fondateur, Athanase Popov, qui exprime un avis tranché sur la politique linguistique au Luxembourg.
De quelle manière d’Bréck sera-t-elle présente au Festival des Migrations?
Nous tiendrons un stand pendant les deux jours, avec à la fois des livres que nous publions nous-mêmes, des livres dans d’autres langues, des bandes dessinées… Nous animerons aussi une conférence littéraire le dimanche à 14h30, avec des autrices bulgares.
Et tout au long de l’année, quelle est, plus largement, l’ambition de votre association?
Elle vise à rapprocher les communautés au Luxembourg et au-delà, à prôner le métissage, par la culture et la politique. En ce sens, nous organisons notamment des débats.
Et quels sont les problématiques que vous souhaitez mettre en avant?
Tout le monde le sait mais personne ne veut vraiment le dire: au Luxembourg, il y a un frein à la démocratisation de la vie publique et un problème de représentation politique. Mais personne ne propose de solution et beaucoup de monde se réfugie derrière le référendum de 2015 (avec un refus de l’octroi du droit de vote pour les résidents étrangers à près de 80%, NDLR) alors que cela n’a rien à voir, car le problème est plus ancien.
Nous avons organisé un débat sur le multilinguisme en politique qui a rencontré un grand succès, et pourtant nous avons eu des difficultés à trouver des intervenants, car personne n’ose s’impliquer sur un tel sujet, qui est tabou… Il y aurait une langue nationale, le luxembourgeois, et le reste ne serait que des langues administratives et judiciaires. Pourtant, dans la sphère politique comme culturelle, il y a toujours eu au moins deux langues en usage. Mais on remarque une évolution «à la flamande», où les gens étaient bilingues et francophiles pendant longtemps et ne souhaitent plus l’être aujourd’hui. C’est pareil dans la population luxembourgeoise «de souche»…
Considérez-vous cela comme une tendance à un repli sur soi?
Nous ne le considérons pas, nous le constatons. Cela fragmente de plus en plus la société. Je reprends le parallèle avec la Flandre: il y a un demi-siècle, il y avait encore des Flamands francophones qui souhaitaient maintenir l’usage du français. Aujourd’hui, ce n’est possible qu’à Bruxelles. En dehors, un Flamand ne revendiquera plus son attachement au français. Au Luxembourg, c’est pareil, avec la difficulté supplémentaire que la moitié de la population est étrangère.
Mais l’argument de la préservation de la langue luxembourgeoise entre tout de même en ligne de compte dans cette problématique, non?
Mais nous-mêmes, nous sommes actifs dans ce domaine! Néanmoins, il y a un problème dans la façon dont la chose est pensée: la langue luxembourgeoise n’est pas du tout enseignée, en ce qui concerne la population de souche. Qui s’en sert donc pour garder, en quelque sorte, le contrôle de la vie politique et culturelle, sans elle-même la connaître comme il faut. Je vois, sur les réseaux sociaux, des députés, des ministres, qui n’arrivent pas à écrire en luxembourgeois en respectant les règles de la langue nationale. On continue à la pratiquer comme un dialecte et c’est en cela qu’il y a un décalage avec la volonté de préservation et de promotion du patrimoine culturel et linguistique local. Je suis d’avis que si l’on veut prendre la chose au sérieux, il faut l’enseigner comme il faut, avec quatre ou cinq heures de cours de grammaire par semaine à l’école…
Quels sont donc vos objectifs dans le domaine linguistique?
Nous avons un objectif qui est double. Tout d’abord, pour être clair, nous sommes favorables à la promotion du luxembourgeois, y compris en tant que langue officielle de l’Union européenne, et non pas de manière exclusive au Luxembourg. Et puis nous sommes pour le multilinguisme, qui est là encore un des fondements de l’Union européenne. Des gens sont plus à l’aise dans une langue que dans l’autre. Défendre et promouvoir une langue ne doit pas se faire au détriment d’une autre, ou en faisant en sorte que ceux qui ont une autre langue principale subissent une discrimination. Et pourtant, c’est ce qui se passe…
Pour rééquilibrer tout cela, il faut des critères objectifs. Et l’un de ceux-là, c’est l’écrit car il est plus neutre, il permet de mettre tout le monde en concurrence. Pourtant, pour le luxembourgeois, l’écrit n’est pas exigé, alors que l’oral oui. Si on soumettait tout le monde à un test de grammaire et d’orthographe, il y aurait moins d’exclusion, peu importe si on est né au pays ou pas.
Vos solutions visent donc à mettre fin, ou tout du moins atténuer, ce paradoxe linguistique?
Pas seulement linguistique mais aussi tout ce qui en découle, tout ce qui façonne la pensée, par exemple la culture. Une illustration: à l’heure actuelle, il n’y a aucune politique de promotion de la traduction, littéraire notamment. C’est pourquoi nous voulons proposer un Prix de la traduction littéraire, car un livre traduit ne peut pas avoir de prix littéraire au Luxembourg. (…) On promeut le local, et c’est très bien, mais où trouve-t-on l’international? A ma connaissance, il n’y a que le Festival des Migrations où l’on invite des auteurs de différents pays, alors que c’est un événement associatif. Mais quand il s’agit d’institutions publiques, elles se focalisent exclusivement sur la production locale.
Et donc vous prônez cet esprit d’ouverture, linguistique et culturelle…
Absolument, c’est notre raison d’être.
Sur une liste aux élections européennes
Active dans le monde association, d’Bréck a décidé d’investir le champ politique. En effet, ses membres seront candidats sur une liste menée en coalition avec le nouveau parti Zesummen, pour le scrutin des élections européennes du 9 juin prochain. Les 250 signatures requises d’électeurs inscrits ont été atteintes en ce sens.