Qu’est ce que le pacte migration et asile
toute l’Europe 10 avril 2024
Présenté en 2020 par la Commission européenne, le Pacte sur la migration et l’asile a été adopté par le Parlement européen le 10 avril 2024. Il prévoit de traiter une partie des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union et introduit un mécanisme de solidarité entre Etats membres en cas d’arrivées massives.
CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE
Le projet de Pacte sur la migration et l’asile vise à renforcer la lutte contre l’immigration illégale et accélérer la reconduction des personnes en situation irrégulière.
Il prévoit une nouvelle procédure de filtrage aux frontières de l’Union européenne, afin d’accélérer le traitement des demandes d’asile pour les personnes peu susceptibles de l’obtenir.
Il veut également rendre les Etats membres plus solidaires les uns des autres pour éviter la concentration des demandeurs d’asile dans certains d’entre eux.
La Commission européenne a présenté son Pacte sur la migration et l’asile le 23 septembre 2020. Un paquet de textes qui ambitionne de réformer la politique en la matière : celle-ci a en effet été marquée par son inefficacité lors des crises migratoires, comme en 2015.
Depuis les années 2000, la gestion des demandes d’asile incombe essentiellement aux premiers pays de transit des migrants, en vertu du règlement de Dublin. Ce sont notamment l’Italie et la Grèce, au sud de l’Europe, qui se retrouvent en première ligne pour accueillir les demandeurs ayant traversé la Méditerranée. A l’inverse, la plupart des Etats d’Europe de l’Est n’acceptaient, jusqu’à l’éclatement du conflit ukrainien, que très peu de réfugiés sur leur territoire. Par ailleurs, un certain nombre de migrants effectuent de fait leur demande dans un pays autre que celui de leur première arrivée, un phénomène qualifié de “mouvements secondaires” et proscrit par le système de Dublin.
Pendant ce temps, les naufrages en mer se succèdent : après un pic en 2015, plus de 3 000 migrants ont de nouveau péri ou disparu en Méditerranée en 2023, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ce sont ainsi plus de 40 000 migrants qui ont été portés disparus depuis 2014 après avoir tenté la traversée, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Par ailleurs, 1,14 million de demandes d’asile ont été effectuées dans l’Union européenne en 2023, tandis que 355 300 personnes sont entrées irrégulièrement dans l’UE la même année selon Frontex, soit le chiffre le plus élevé depuis 2016.
Le nouveau Pacte propose de remédier aux nombreuses failles de la politique d’asile européenne, en renforçant les contrôles aux frontières, notamment pour dissuader les volontaires au départ, et en organisant la gestion de l’asile en particulier lors de situations de crise.
En septembre 2022, Parlement européen et Conseil de l’UE se sont engagés à œuvrer en vue d’une adoption du Pacte avant les élections européennes de 2024. Le 20 avril 2023, le premier a adopté sa position de négociation sur quatre textes de la réforme, dont ceux portant sur la solidarité entre Etats membres dans l’accueil des exilés, le filtrage des migrants et les migrations légales. Le 8 juin, le Conseil est à son tour parvenu à un accord politique à la majorité qualifiée de 21 membres (quatre pays se sont abstenus sur le volet “solidarité” du pacte, la Hongrie et la Pologne ont voté contre). Le 4 octobre 2023, c’est le volet “crise” qui a obtenu un accord du Conseil.
Cinq textes clés du Pacte ont fait l’objet d’un compromis entre Parlement et Conseil le 20 décembre 2023 : gestion de l’asile et de la migration, situations de crise et force majeure, mise à jour de la base de données Eurodac, filtrage et procédure d’asile commune. Le 8 février 2024, le Conseil a adopté trois textes ayant fait l’objet d’un accord avec le Parlement en 2022 : règles uniformes pour les demandes d’asile, meilleures conditions d’accueil et nouveau cadre de l’UE pour la réinstallation.
Le 10 avril 2024, le Parlement européen a adopté dix textes (neuf règlements et une directive) du Pacte sur la migration et l’asile. Sous réserve de l’approbation du Conseil de l’Union européenne, celui-ci entrerait en application en 2026 pour l’essentiel, avec un délai raccourci de dix-huit mois pour le règlement filtrage. La Commission européenne a prévu de présenter un plan d’action aux Etats membres sur la mise en place de ce nouveau paquet législatif lors du Conseil européen de juin 2024.
Dans le cadre de la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, le budget européen consacré à la gestion des migrations a été augmenté en février 2024 de près de 2 milliards d’euros sur la période 2021-2027.
Renforcer les frontières extérieures
Une large partie du Pacte sur la migration et l’asile est consacrée à la protection des frontières de l’espace européen.
L’une des mesures phares concerne la mise en place d’un premier filtrage, aux frontières de l’Union européenne, des personnes tentant d’entrer illégalement sur le territoire européen. L’objectif est d’accélérer le traitement des demandes d’asile avant l’entrée dans l’UE. Concrètement, les Etats membres vont installer des centres de rétention proches des frontières extérieures de l’Union européenne ainsi que dans les aéroports, avec un minimum de 30 000 places au total. Ils pourront pour cela recevoir un soutien financier de l’Union européenne, ainsi qu’un appui de l’Agence européenne pour l’asile et de Frontex.
Ce filtrage vise tout d’abord à déterminer, dans un délai de sept jours, si le demandeur doit déjà faire l’objet d’une procédure de retour – par exemple si une précédente demande d’asile a déjà été refusée. Ensuite, il permettra d’identifier les migrants dont la demande est recevable, mais qui sont jugés a priori peu susceptibles d’obtenir une protection internationale (lorsque moins de 20 % des ressortissants de leur pays obtiennent de fait l’asile au sein de l’UE), notamment les “migrants économiques”, ainsi que les personnes considérées comme des dangers pour la sécurité nationale ou l’ordre public. Ces migrants se verront alors imposer une procédure spéciale de demande à la frontière, dont le délai de traitement ne pourra alors pas dépasser douze semaines. Les familles accompagnées de leurs enfants pourront être concernées par cette procédure accélérée, au contraire des mineurs non accompagnés dont la demande d’asile passera par une procédure normale, sauf s’ils constituent une menace pour la sécurité.
Au terme d’une procédure spéciale comme normale, les demandeurs d’asile dont la demande est rejetée devront être renvoyés dans leur pays d’origine ou un pays de transit dans un délai inférieur à douze semaines. Les Etats peuvent là aussi recevoir l’aide de Frontex pour coordonner ces retours. Ce pays de retour sera déterminé par chaque Etat membre en fonction d’une liste nationale de “pays sûrs”, même si le Pacte prévoit la constitution progressive d’une liste européenne.
Enfin, le filtrage aux frontières s’appuie en partie sur le renforcement d’Eurodac, une base de données – notamment biométriques – des migrants sur le sol européen. Aux empreintes digitales déjà collectées jusque-là vont désormais s’ajouter des images faciales ainsi que des informations supplémentaires telles que le nom, le prénom, la nationalité, la date et le lieu de naissance. Des informations sur les décisions d’éloignement, de retour ou de réinstallation permettront en outre de mieux identifier les personnes introduisant plusieurs requêtes, ainsi que de déterminer l’Etat membre responsable de leur demande d’asile. L’âge minimum pour la collecte des données est abaissé de 14 à 6 ans.
Garantir la solidarité entre Etats membres
Après l’échec d’un plan européen de 2016, qui avait tenté d’imposer à certains Etats la relocalisation des demandeurs d’asile, le nouveau Pacte migratoire vise plus de flexibilité.
La Commission aura la possibilité de déclencher un “mécanisme de solidarité” impliquant tous les Etats en cas de “pression migratoire” constatée dans un ou plusieurs Etats membres (par exemple l’Italie ou la Grèce). Les Etats membres auront alors le choix entre deux options : accueillir une partie des demandeurs d’asile (mesure qui serait soutenue financièrement par l’UE) ou bien aider l’Etat sous “pression” à accueillir ces demandeurs d’asile, à travers un soutien financier, la construction de centres d’accueil ou encore l’aide au retour.
Le Conseil souhaite ainsi qu’au moins 30 000 demandeurs d’asile soient relocalisés depuis les pays de première ligne vers les moins exposés, selon une répartition préétablie (la France devrait ainsi accueillir 4 000 demandeurs depuis d’autres Etats membres). Les Etats qui refusent cette relocalisation seraient alors contraints de verser une compensation financière de 20 000 euros par personne.
Un fonds de solidarité sera créé : tous les pays de l’UE devront y participer par des transferts (d’un demandeur ou d’un bénéficiaire d’une protection internationale du territoire d’un Etat membre bénéficiaire vers le territoire d’un Etat membre contributeur) et/ou des contributions financières.
Dix-huit des membres de l’UE (et trois pays associés) avaient formellement approuvé, le 22 juin 2022, une première version du mécanisme de solidarité pour une durée d’un an renouvelable. Celle-ci visait spécifiquement les migrants secourus en mer, objet fréquent de litiges, en Italie notamment. Les Etats s’étaient engagés à réaliser 10 000 relocalisations de demandeurs d’asile lors de la première année, un objectif non tenu.
Faire face aux crises
Le volet “crise” du pacte migratoire prévoit des règles spécifiques en cas d’afflux, de risque d’afflux de migrants irréguliers ou d’instrumentalisation de vagues migratoires par un pays ou un acteur tiers. Il accélère et facilite certaines procédures, comme le déclenchement du mécanisme de solidarité par un Etat membre ou l’octroi d’une protection temporaire à des groupes de personnes originaires de pays en guerre.
Il élargit aussi le système de filtrage décrit plus haut : les apatrides et les ressortissants de pays tiers dont le taux de reconnaissance du droit d’asile est relativement faible (égal ou inférieur à 50 % en première instance au niveau européen, contre 20 % pour le mécanisme en temps normal) pourraient alors eux aussi être déboutés aux frontières extérieures de l’UE.
En outre, les délais d’enregistrement des demandes d’asile et les procédures à la frontière seraient allongés, autorisant un Etat membre à maintenir les arrivants plus longtemps dans des centres de détention aux frontières extérieures.
Harmoniser la politique européenne
Le Pacte tente également d’harmoniser l’application de la politique migratoire et d’asile dans les Etats membres. Notamment en s’assurant que les règles déjà en vigueur soient bien appliquées par tous : en vertu du régime d’asile européen commun, les Etats membres sont par exemple tenus de respecter des normes communes pour des procédures d’asile équitables et efficaces, ce qui n’est pas toujours le cas.
L’une des missions de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), inaugurée le 19 janvier 2022 en remplacement de l’ancien Bureau européen d’appui en matière d’asile, est de vérifier et d’appuyer cette effectivité des règles. Une mission qui a débuté le 31 décembre 2023, grâce à une réserve de 500 experts. L’agence doit également fournir un soutien opérationnel et technique et proposer des formations aux autorités nationales des pays de l’UE.
Le Pacte prévoit par ailleurs de faciliter l’immigration légale depuis les pays tiers. Le 18 décembre, Parlement et Conseil de l’Union européenne se sont notamment accordés sur une révision de la directive permis unique : celle-ci simplifie la procédure de demande de titre de séjour afin d’exercer un travail dans un Etat membre en combinant permis de travail et de séjour, et renforce les droits des travailleurs issus de pays tiers. Les Etats membres conservent toutefois le dernier mot au sujet des travailleurs qu’ils souhaitent accueillir, notamment leur nombre.
Les négociations se poursuivent par ailleurs sur la révision de la directive sur les résidents de longue durée. La Commission a proposé, en avril 2022, de renforcer le droit des résidents de longue durée de se déplacer et de travailler dans d’autres Etats membres.
Enfin, la directive “carte bleue européenne”, destinée à favoriser l’accueil des ressortissants de pays tiers hautement qualifiés, a été adoptée le 20 octobre 2021. Elle devait être transposée dans les Etats membres avant le 18 novembre 2023. Parmi ses mesures figurent la création d’une plateforme européenne pour mettre en relation les citoyens de pays tiers et les employeurs européens.
Faciliter les retours
Enfin, la Commission a proposé d’intensifier les accords de réadmission avec les pays d’origine des migrants pour faciliter le retour des personnes n’ayant pas obtenu l’asile. L’accès aux visas européens serait facilité pour les Etats qui accueillent leurs ressortissants reconduits, et durci à l’inverse pour les moins coopératifs. Le 2 mars 2022, un nouveau coordinateur de l’UE chargé des retours a été nommé.
Le 24 janvier 2023, la Commission européenne a publié une stratégie opérationnelle pour une politique plus efficace en matière de retours. Celle-ci invite les Etats membres à négocier chacun avec quelques pays partenaires pour qu’ils acceptent le retour d’un plus grand nombre de leurs ressortissants. Seuls 21 % des migrants irréguliers reviennent effectivement dans leur pays d’origine après avoir reçu une décision négative d’un Etat membre sur leur demande d’asile.
La fin du système de Dublin ?
Quelques jours avant la présentation du Pacte sur la migration et l’asile en 2020, Ursula von der Leyen avait annoncé vouloir “abolir le règlement de Dublin”, qui régit l’accueil des demandeurs d’asile depuis 1990. Un système peu efficace et dénoncé par les Etats en première ligne dans la gestion des demandes d’asile.
Peu après la crise des réfugiés de 2015, année où 1,28 million de demandes d’asiles avaient été déposées sur le territoire de l’UE (contre environ 966 000 en 2022), la précédente Commission avait tenté de faire adopter plusieurs réformes. Un projet resté lettre morte face aux réticences des Etats membres à faire preuve de plus de solidarité dans l’accueil des migrants. Ceux-ci se concentrent en effet dans les pays d’arrivée des routes migratoires : l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou encore Malte.
Conformément au système de Dublin, les demandes d’asile ont majoritairement été traitées dans les pays d’entrée sur le territoire européen. Bien qu’un système de relocalisation des demandeurs ait été adopté, sa mise en œuvre a été largement limitée. L’hostilité de plusieurs pays européens, dont ceux du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), a largement contribué à cet échec.
Adopté en 2016, un accord controversé avec la Turquie a néanmoins permis de limiter l’afflux de migrants sur le territoire européen. En contrepartie d’une rétribution financière, le pays s’est engagé à exercer des contrôles plus stricts à ses frontières pour juguler l’immigration illégale ainsi qu’à accueillir tous les migrants illégaux venus de son territoire et arrêtés en Grèce. L’année suivante, un accord similaire a été conclu avec la Libye. En juillet 2023, c’est avec la Tunisie que l’UE a conclu un tel partenariat, puis en mars 2024 avec la Mauritanie et l’Egypte.
De fait, le nouveau projet ne semble pas remettre fondamentalement en cause la règle générale de Dublin : qu’importe le pays de l’UE où le demandeur d’asile se trouve, il verrait sa demande traitée par le pays qui a enregistré son arrivée sur le sol européen.
Certaines exceptions permettent aujourd’hui de déroger à ce principe, comme la présence d’un membre de sa famille dans un autre Etat membre. Le Pacte y ajoute de nouveaux critères d’exception, tels que l’intérêt de l’enfant, les diplômes, les relations significatives avec le pays et les connaissances linguistiques du demandeur. Les cas de regroupement familial seront par exemple traités en priorité et les liens familiaux identifiés rapidement.