Comment la Fedas veut éviter un Caritas bis
«Les associations déjà aujourd’hui appliquent des normes élevées en matière de gestion et de contrôle, et cette réalité mérite d’être pleinement reconnue dans les discussions publiques», dit la Fédération des acteurs du secteur social dans une lettre ouverte qu’elle a adressée aux députés en fin de semaine dernière. À l’intérieur, elle souligne aussi la nécessité d’aller plus loin sur la transparence et les mécanismes de contrôle au sein des associations, sans pour autant «alourdir les charges des organisations du secteur social, qui jouent un rôle vital en soutenant les populations les plus vulnérables» et a exposé ses revendications pour une meilleure gouvernance.
Elle appelle ainsi à l’instauration d’un dialogue ouvert et structuré entre le gouvernement et les acteurs du secteur social. «Impliquer ces derniers dès les premières étapes des décisions est crucial pour garantir des solutions à la fois pragmatiques et adaptées aux réalités du terrain», souligne-t-elle.
La Fedas, qui compte 195 membres, insiste notamment sur la nécessité d’une gouvernance claire et différenciée au sein des fondations et associations. «Le conseil d’administration doit jouer un rôle prépondérant dans la définition de la stratégie et la supervision des orientations générales de l’organisation, documenté dans un règlement d’ordre interne et un code de bonne conduite qui clarifie les missions et obligations du conseil et de la direction», indique la fédération, qui insiste sur la distinction entre la mission du conseil et celle de la direction exécutive chargée de mettre en œuvre les décisions stratégiques. «Préserver cette séparation des responsabilités est essentiel pour garantir la transparence et l’intégrité des processus décisionnels», sans quoi les mécanismes de contrôle se retrouveraient affaiblis, avec un risque de conflits d’intérêts.
Elle pointe aussi le fait que les mandats des administrateurs soient exercés à titre gratuit, donc de façon bénévole. «Bien que le bénévolat constitue un pilier fondamental du secteur social, il serait opportun de reconsidérer ce point à la lumière des lourdes responsabilités qui incombent aux administrateurs. Face aux attentes croissantes en matière de gouvernance et de supervision, il pourrait être nécessaire d’adapter ce cadre afin que les administrateurs disposent des ressources et de la reconnaissance appropriées pour mener à bien leur mission», souligne la Fedas.
Cette notion de «bénévolat» figure bien dans l’exposé des motifs de la proposition de loi (8447) du député Franz Fayot récemment déposée relative à la gouvernance financière d’organisations et fondations gérant des deniers publics qui évoque le cas des «administrateurs issus du bénévolat, souvent moins bien formés que des administrateurs professionnels». Une proposition de loi qui s’ajoute à l’actuelle loi de 2023 sur les associations sans but lucratif et les fondations et qui n’aura pas suffi à éviter le scandale Caritas et ses près de 60 millions d’euros détournés. Pourtant, cette loi a bien été discutée sous le précédent gouvernement dont faisait partie Franz Fayot, alors ministre de l’Économie. Il aura d’ailleurs fallu 14 ans après le dépôt du projet de loi déposé en 2009 par… Luc Frieden (CSV), à l’époque ministre de la Justice en 2009, pour que celle-ci soit officiellement promulguée, à la fin de l’été 2023. Soit un laps de temps qui aurait suffi à faire figurer les dispositions aujourd’hui mises en avant par Franz Fayot…
Pour l’Institut luxembourgeois des administrateurs (Ila), mieux former les administrateurs est en effet une nécessité. Interrogée en septembre par Paperjam, sa présidente, Virginie Lagrange, tirait quelques leçons de l’affaire Caritas. Parmi elles, la nécessité de professionnaliser et de rémunérer les administrateurs des asbl et associations, au même titre que ceux des entreprises pour qui occuper un tel poste est souvent très lucratif. Pour Virginie Lagrange, il est indispensable de s’assurer «que le conseil d’administration en place soit compétent, qu’il comprenne le modèle d’affaires et qu’il s’assure que le cadre de contrôle mis en place soit efficace. Il doit avoir des rapports réguliers sur l’environnement du contrôle interne qui est en place, sur la gestion des risques. Par exemple, les règles en matière de signature ou de seuils au-delà desquels les paiements doivent passer par lui. Et il doit avoir des contacts réguliers avec la direction.»
Sur le contrôle
En matière de contrôle, la Fedas plaide également pour un «renforcement des dispositifs de contrôle interne, indispensable pour toute organisation soucieuse de garantir une gestion saine et transparente». Selon elle, les contrôles internes ne se limitent pas à vérifier seulement la conformité des opérations, mais ils constituent aussi «un outil d’amélioration continue, permettant de détecter les inefficacités et de corriger les dysfonctionnements avant que ceux-ci ne compromettent la pérennité de l’organisation». Ainsi, elle préconise qu’ils soient assurés par un audit interne indépendant.
«Nous croyons fermement que ces contrôles, lorsqu’ils sont bien conçus, doivent être perçus non pas comme une contrainte, mais comme un levier stratégique pour renforcer la confiance des donateurs, des autorités publiques et de l’ensemble des parties prenantes», insiste la fédération.
La proposition de loi va même plus loin, partant du principe que les contrôles ex post au moyen de rapports d’audit sont «incapables de déceler les fraudes et détournements». Il dispose alors «d’instituer un mécanisme d’approbation ex ante plus contraignant pour des opérations dépassant 10.000 euros (principe des quatre yeux), voire 100.000 euros (principe des huit yeux), avec à chaque fois un échange réel et documenté entre les administrateurs et gestionnaires». Toutefois, cela ne donne aucune garantie sur le fait que les membres assignés à ce contrôle ne se soient pas entendus pour réaliser une potentielle fraude…
Autre mesure qui figure dans la proposition de loi: la signature d’une personne possédant une expertise en la matière comme un expert-comptable ou un réviseur d’entreprise en charge de la révision des comptes de l’entité en question. Celui-ci est en effet de nature à prévenir des fraudes internes, aussi bien que des «arnaques au président» portant sur des montants importants. «Les seuils fixés sont relativement élevés pour ne pas trop alourdir les opérations de certaines organisations du secteur associatif et caritatif gérant des sommes importantes au quotidien. Un niveau de sécurité additionnel doit aussi être prévu lors d’une succession d’opérations qui dépasseraient un engagement de 500.000 euros sur quatre semaines. Une réunion du conseil d’administration devra alors être organisée pour délibérer sur ces opérations.
Sur la gestion des risques
Autre mesure proposée par la Fedas pour continuer de favoriser la résilience du secteur: «un soutien accru à la gestion des risques, incluant des mécanismes de prévention et d’identification des risques financiers, opérationnels et juridiques». La gestion des risques apparaît comme un impératif incontournable pour minimiser les risques, notamment financiers, mais aussi pour anticiper d’autres risques, sur le plan opérationnel ou juridique. «Nous estimons qu’il est crucial d’introduire dans le cadre législatif des exigences claires en matière d’identification, d’évaluation et de gestion proactive des risques», affirme la Fedas.
En matière de transparence, la proposition de loi déposée le 10 octobre préconise aussi de rendre publiques les informations relatives aux conventions des associations et fondations, «pour renforcer la transparence et rétablir la confiance des citoyennes et citoyens