Expulsions –  « Je n’ai plus de larmes »

Mercredi dernier, 15 janvier 2025, le Juge de Paix de Diekirch a accordé un deuxième sursis de déguerpissement à Madame D, qui doit quitter le logement dans lequel elle vit depuis une vingtaine d’années en raison d’un projet immobilier. Un jour plus tard, l’Office social du ressort lui a annoncé qu’un logement de remplacement était désormais disponible.

C’est donc in extremis que cette famille de quatre personnes a été sauvée d’un avenir incertain et éventuellement du sans-abrisme. Ce dénouement tant heureux qu’inattendu met fin à plus d’un an de démarches infructueuses, tant du côté des agences privées qu’auprès des bailleurs sociaux. En novembre 2024, l’association « Solidaritéit mat den Heescherten », qui avait rencontré Madame D lors d’une table-ronde de la Chambre des Salariés sur le thème « Logement et pauvreté » a repris la relève et a contacté ou recontacté les mêmes institutions, dont la Commune de résidence, l’Office social du ressort et des bailleurs sociaux, qui ont tous déclaré leur impuissance. Plus étonnant, la réponse des ministères, Famille et Santé, ce dernier ayant été contacté en raison de l’état de santé critique de Madame D, qui ont tous les deux affirmé ne pas pouvoir intervenir.

Aujourd’hui, Madame D, qui a travaillé toute sa vie, qui a régulièrement payé son loyer et qui a supporté tant d’angoisses et de souffrances, au point nous dire « Je n’ai plus de larmes. », peut s’estimer chanceuse. En effet, toutes les personnes qui se retrouvent dans ce genre de situation n’ont pas l’opportunité de se voir proposer un logement: Entre avril 2023 et septembre 2024, plus de 700 demandes de déguerpissement ont été introduites auprès des tribunaux de Luxembourg, Esch-sur-Alzette et Diekirch, dont 635 ont abouti. Sur ces 635 demandes, 327 ont été exécutées, ce qui correspond à 15,5 expulsions par mois. Cela implique que les personnes concernées ont dû quitter leur logement sous la présence d’un huissier et de la police. Quel a été leur sort ? C’est une question qui ne semble intéresser personne dans notre riche pays !

Dans un contexte social marqué par l’augmentation, d’une part, de l’exposition au risque de pauvreté, qui touche désormais plus d’un résident sur cinq, et d’autre part, du prix des loyers avec un loyer moyen qui s’élève à 52 % du salaire minimum brut en 2023, de plus en plus de résidents sont confrontés à des difficultés financières temporaires ou chroniques.

De plus, sur l’arrière-fond de la spéculation foncière et de la pénurie de terrains mis sur le marché, le bâti ancien est systématiquement détruit et remplacé par de nouvelles constructions qui se vendent à prix d’or et dont le loyer dépasse nettement les moyens des populations les plus pauvres.

Alors que le problème est patent depuis deux décennies et qu’il s’aggrave d’année en année, nos gouvernements successifs manquent d’intervenir et continuent à miser sur les forces du marché qui, non seulement, sont inefficaces pour le résoudre, mais y contribuent activement.
Il faut relever dans notre pays des déficits flagrants en matière de politique du logement :

  • A ce jour, le Luxembourg ne dispose pas d’un parc de logements sociaux digne de ce nom. La part des logements sociaux représente 2,5 % du parc immobilier. Alors que l’article 26 de la loi sur le bail à loyer du 21 septembre 2006 prévoit que les administrations communales assurent dans la mesure du possible le logement de toutes les personnes qui ont leur domicile sur leur territoire, ceci reste lettre morte tant que les communes ne sont pas obligées de prévoir des logements à cet effet. Pour les personnes n’arrivant pas à se loger sur le marché privé, restent alors les agences immobilières sociales. Comme pour les logements publics, les délais d’attente y sont de l’ordre de 1 à 3 ans. En cas d’urgence, il n’y a plus que les chambres de café, les campings, ou …. la rue.
  • En 2022, le précédent gouvernement avait introduit une trêve hivernale destinée à protéger les locataires d’une expulsion pendant la saison froide, mais ce mécanisme, qui est pourtant courant chez nos voisins français et belges, n’a pas été renouvelé.
  • Les locataires ne disposent pas de système d’information juridique public dédié aux questions de logement.
  • Il n’existe au Luxembourg aucune protection des locataires en cas de démolition et de rénovation lourde d’un immeuble, impliquant l’obligation pour les propriétaires de les reloger.
  • Il n’existe pas de protection spécifique pour les personnes âgées, malades ou en situation de handicap.

Or le droit au logement fait partie des droits humains ; il est garanti par l’article 25.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et l’article 11.1 du UN International Covenant on Economic, Social and Cultural Rights (ICESCR). Dans son dernier rapport (2023), le Comité européen des droits sociaux a d’ailleurs rappelé que, lors de leur mise en œuvre, les  procédures d’expulsion doivent être assorties de solutions de relogement et a constaté que la situation au Luxembourg n’était pas conforme à l’article 16 de la Charte sociale européenne de 1961 (Droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique.)

Dans une situation où de plus en plus de personnes sont concernées par le mal-logement et le sans-abrisme, nous demandons que le gouvernement et les communes assument leurs responsabilités :

– en construisant massivement des logements sociaux locatifs, accessibles au public à revenu modeste ;

– en taxant les logements vides ainsi que les terrains constructibles ;

– en agissant contre la spéculation foncière via un impôt foncier progressif, tout en libérant le domicile principal ;

–  en liant la démolition de logements existants au relogement des locataires par les soins du propriétaire;

– en créant un service national d’information juridique pour les locataires ;

– en imposant une intervention de l’office social concerné dès qu’une procédure de déguerpissement est pendante et le soutien des personnes qui rencontrent des difficultés pour payer leur loyer ;

– en protégeant les personnes âgées, malades ainsi que les familles pauvres d’une expulsion tout en en empêchant la séparation des familles ;

– en obligeant sans condition aucune les administrations communales à reloger temporairement les personnes habitant sur leur territoire lorsqu’elles sont menacées d’expulsion, tout en imposant aux communes des quotas de logements sociaux et d’urgence ;

– en contrôlant assidûment des marchands de sommeil et en obligeant les fautifs à reloger à leurs frais les locataires ;

– en mettant en place un plan national de lutte contre le sans-abrisme et le mal logement.

Luxembourg, le 22 janvier 2025            Communiqué par « Solidaritéit mat den Heescherten »