Nous sommes au XXI siècle et pourtant l’égalité salariale, les postes de direction et l’entrepreneuriat, faute d’un manque d’accès au capital, restent encore difficilement accessibles aux femmes. D’autant plus lorsque celles-ci ne sont pas blanches. «Dans le monde entier, après des décennies de militantisme et des dizaines de lois sur l’égalité de rémunération, les femmes n’ont toujours droit qu’à 80 centimes pour chaque dollar gagné par les hommes. Ce chiffre est encore plus bas pour les femmes avec enfants, les femmes racisées, les réfugiées et les migrantes ou les femmes en situation de handicap. (…) D’après l’analyse du Forum économique mondial, il faudrait 257 ans pour combler cet écart», avait rappelé le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, dans son message passé à l’occasion de la journée internationale de l’Égalité de rémunération, le 18 septembre dernier.
Elles étaient nombreuses (dans la limite imposée par les restrictions sanitaires) à être venues entendre les précieux conseils de ces femmes qui ont réussi à s’imposer.
Afin d’aider ces femmes à reprendre leur pouvoir et à oser mettre en œuvre leur projet entrepreneurial, l’association féministe et antiraciste Lëtz Rise Up a donc décidé de lancer le «Peanut Project», une série de conférences destinée à permettre aux femmes racisées d’échanger avec des entrepreneuses à succès issues des minorités ethniques et raciales.
Après une première session sur le thème «Confiance et leadership au féminin» en novembre dernier, une deuxième s’est tenue samedi à la Chambre de commerce de Luxembourg, cette fois-ci sur le thème «Femmes, pouvoir et argent». Au programme, des retours d’expérience d’intervenantes de marque : la femme d’affaires maroco-britannique Najwa El Iraki, fondatrice de AfricaDev Consulting et représentante pour l’Afrique du Nord et de l’Ouest du marché d’assurance Lloyd’s of London; Ahoua Eve Bakayoko, la créatrice de Miss Bak, marque de soins corporels naturels et éthique; et l’entrepreneuse, animatrice et chroniqueuse de télévision Hapsatou Sy.
Manque de confiance en soi
La difficulté pour les femmes à s’imposer dans un monde encore largement dominé par les hommes qui ne les prennent pas au sérieux ne vient pas de nulle part, comme le résume Najwa El Iraki : « Toutes les femmes ont été au moins une fois critiquées vis-à-vis de leurs émotions ou de leurs sentiments, et se sont entendues dire qu’elles “sur-réagissaient” ou étaient trop “sensibles”. Par exemple, lorsque la directrice de la gestion des risques chez Lehman Brothers a prévenu du risque d’effondrement de l’économie mondiale, elle s’est vu répondre qu’elle réagissait de façon excessive… » À quoi s’ajoutent le manque d’éducation financière (il y a quelques décennies encore, les femmes devaient obtenir l’accord de leur mari pour ouvrir un compte bancaire) et l’absence de modèles de réussite féminins et racisés. « Les hommes ne sont pas l’ennemi, mais le problème c’est le système les maintenant dans cette domination et nous excluant. Les femmes avec de l’argent et les femmes de pouvoir sont deux idées inconfortables dans notre société », ajoute la femme d’affaires, citant la romancière Candace Bushnell.
« Les femmes doivent être indépendantes financièrement », a renchéri Hapsatou Sy, mère de deux enfants et dont l’entreprise de distribution à domicile de sa marque de cosmétiques regroupe plus de 1 000 «beautypreneuses» et atteint plusieurs millions de chiffre d’affaires. « Mais je ne crois pas au déterminisme social, à l’entrepreneuriat des minorités ethniques ou des femmes. J’achète des produits s’ils sont bons, pas parce qu’ils ont été faits par une Noire. »
C’est dans son histoire familiale qu’Hapsatou Sy a puisé sa force de caractère, malgré les échecs qu’elle a pu rencontrer. « Je me suis battue pour faire honneur à mon père, immigrant sénégalais qui a décidé de tout quitter et a littéralement risqué sa vie pour offrir à ses huit enfants un meilleur avenir. Quant à mère, elle s’est mariée à 13 ans et ne savait pas écrire. Mais elle n’a jamais demandé d’argent à mon père. Je ne me voyais pas leur dire “C’est trop dur, je suis une femme et je suis noire”. En plus, ce que je suis, ce qu’ils m’ont donné, n’a pas à être un problème. »
Des propos inspirants qui ont rencontré un vif écho dans l’assistance. Mêmesil’entrepreneuriatn’estpasun long fleuve tranquille, toutes ont ressentiunregaindemotivation.L’admiration était palpable. Elles étaient en effetnombreuses(danslalimiteimposéeparlesrestrictionssanitaires)àêtre venues entendre les précieux conseils de ces femmes qui ont réussi à s’imposer. À l’instar d’Alice, qui travaille actuellement au sein de Médecins du monde mais espère aussi pouvoir créersapropremarquedeprêt-à-porter éthique. « Je suis venue pour avoir des astucespourdevenirentrepreneuseet parce que j’avais besoin d’exemples. On manque de modèles. J’ai un peu peur de me lancer en plus. Je sais d’expérience et pour l’avoir beaucoup constaté autour de moi qu’on neportepasforcémentattentionàce que l’on fait ou à ce qu’on veut réaliserentantquefemmeracisée.J’espère aussi étoffer mes contacts. »
« La confiance en soi, c’est la clé », a martelé Ahoua Eve Bakayoko. « La plupart des gens vont vous sous-estimer. Il faut donc s’instruire pour maîtriser son sujet, prendre du temps pour soi également afin d’être dans un bon état d’esprit, et ensuite, s’imposer par sa seule présence. Si vous ne croyez pas en vous, qui va le faire? »
La prochaine master class du «Peanut Project» se tiendra le 8 mai 2021 et aura pour thème «Conciliation entrepreneuriat-famille». Les entrepreneuses Imane Belmkaddem, Myriam Taylor et Jennifer He Olding viendront partager leur expérience et dispenser de précieux conseils.