La dernière édition de l’Eurobaromètre, enquête d’opinion réalisée pour le compte de la Commission européenne, dévoile une hausse des préoccupations liées à l’immigration, au Luxembourg et en Europe.
Situation économique, perspectives d’avenir, défis, mais aussi confiance dans les institutions européennes et position quant à l’élargissement de l’Union… Tous les six mois, l’opinion des citoyens des États membres est scrutée dans les moindres détails grâce à l’Eurobaromètre. Au Luxembourg, 504 personnes ont été interrogées entre le 23 octobre et le 17 novembre derniers, et leurs réponses réservent quelques surprises.
Von Isabel Spigarelli
Die zweite Studie „Being Black in the EU“ offenbart: In Luxemburg grassiert der Rassismus und es mangelt an kompetenten öffentlichen Anlaufstellen.
L’enquête nationale sur les discriminations, commandée en 2020 par le gouvernement, révèle un racisme structurel dans des domaines clés comme l’emploi, l’école ou le logement.
Si on savait que le Luxembourg, dont la moitié de la population est étrangère, n’était pas épargné par le racisme, il était difficile jusque-là d’en évaluer l’ampleur, puisque aucune donnée n’était disponible. Un manque désormais comblé par l’enquête nationale commandée par le gouvernement en 2020 dans le sillage du mouvement Black Lives Matter.
Les résultats de ce long travail du Cefis et du Liser, mené auprès de résidents, de minorités, d’experts de terrain et de témoins issus de la société civile ou de l’administration, ont été présentés hier et révèlent, sans surprise, un racisme structurel, visant principalement les personnes noires et les musulmans.
Pour autant, «l’idéologie raciste – selon laquelle il y aurait des différences génétiques et une hiérarchie entre les races – est relativement rare au Grand-Duché, au sein de la population luxembourgeoise comme immigrée», souligne Frédéric Docquier, le directeur du programme Crossing Borders au Liser. «Avec moins de 5% des résidents adhérant à cette thèse, elle est nettement moins marquée qu’en Belgique ou en France.»
Alors qu’un tiers des résidents pensent que le racisme a augmenté ces cinq dernières années, la plupart identifient un glissement, d’une forme agressive et directe dans l’espace public à une forme plus sournoise, constituée de microagressions au quotidien et de discours de haine sur les réseaux sociaux. Un phénomène diffus et moins visible, plus difficile à dénoncer pour les victimes, qui sont 66 % à ne pas les déclarer, jugeant que c’est inutile ou trop compliqué.
Des décisions politiques nécessaires
En parallèle, l’enquête documente le racisme structurel sévissant dans le pays : des discriminations sont répandues dans des domaines clés de la société comme l’accès au logement (pour 50 % des sondés), la recherche d’emploi (pour 44 %) ou encore l’enseignement (pour 26 %). Des taux bien plus importants encore parmi les personnes noires et les Portugais. Ce qui montre combien «ces groupes sociaux sont la cible de préjugés bien ancrés dans la société», selon Frédéric Docquier.
Parmi les vecteurs principaux de discrimination, la méconnaissance de la langue luxembourgeoise, la couleur de peau ou encore les signes culturels distinctifs arrivent en tête pour près de la moitié des résidents. Mais de nombreux clichés sont à l’œuvre : les afro-descendants seraient paresseux, les musulmans terroristes, les réfugiés profiteraient des largesses de l’État, tandis que les personnes noires, des pays de l’Est et les Roms sont tenus pour responsables d’une hausse de la criminalité par un tiers des sondés.
Enfin, l’enquête épingle des couacs au niveau légal, comme le droit qui peine à être appliqué, le peu de condamnations pour discrimination, l’impossibilité de se constituer partie civile pour les associations ou encore une assistance judiciaire limitée (un projet de loi est en cours).
Ce qui explique que 68 % des résidents (jusqu’à 80 % parmi les Portugais et les personnes noires ou musulmanes) réclament de nouvelles décisions politiques. Face à ce défi, la ministre Corinne Cahen évoque pêle-mêle campagnes de sensibilisation, guide de bienvenue, charte de la diversité et plan national d’intégration, mais difficile de savoir à ce stade si les ministères réellement impliqués – Justice, Logement, Éducation, Travail – s’empareront de ce rapport pour enfin en finir avec le racisme.
tageblatt 9 März 2022
Même problème, même constat
Jérôme Quiqueret
Trois ans après l’étude „Being black in Luxembourg“, l’étude „sur le racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg“ constate que le Luxembourg a bien un problème de racisme. Et que les personnes de couleur noire, les musulmans et les Roms en sont les premières victimes.
Dans un pays où un citoyen sur deux n’a pas la nationalité luxembourgeoise, et qu’une part plus grande encore a des „Migrationshintergründe“, si l’on retient la définition allemande – avoir un de ses quatre grands-parents étrangers –, la question du racisme ne peut qu’être de la toute première importance, soulignait hier la ministre de l’Intégration, Corinne Cahen, au moment de présenter l’étude „sur le racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg“.
Il aura toutefois fallu attendre la publication de l’étude „Being black in the EU“, présentée en novembre 2018 par l’Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux, pour que le problème soit posé sur la place publique et que les victimes se sentent enfin autorisées à l’évoquer. Mais aussi graves étaient-ils, les chiffres de cette première étude n’avaient pas déclenché de réaction politique, pas même provoqué le renforcement du Centre pour l’égalité de traitement (CET) en sous-effectif depuis sa création. Il aura fallu la mort de Georges Floyd en juin 2020, pour que le mois suivant la Chambre des députés adopte une motion invitant le Gouvernement à „faire élaborer une étude sur le phénomène du racisme au Luxembourg afin de développer une stratégie de lutte cohérente“. Et il aura fallu ensuite dix-huit nouveaux mois pour que le Centre d’étude et de formation interculturelles et sociales (CEFIS) et le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research (Liser), mandatés par le ministère de l’Intégration, rendent une nouvelle étude qui permette de „factualiser la situation“, soulignait la ministre de l’Intégration, Corinne Cahen, en se souvenant d’une table-ronde organisée par l’ASTI à l’automne 2019 qui „avait fait ressortir beaucoup de choses“.
L’islamophobie aussi
L’étude de 260 pages tient un discours clair, aussi clair que celui de l’étude „Being black in Luxembourg“, dont elle est une réplique. Elle atteste que la négrophobie est le problème de racisme le plus développé. 38% des personnes de couleur noire craignent d’être victimes d’incidents dans un futur proche du fait de leur appartenance ethnico-raciale. Mais l’étude met aussi en avant les discriminations liées à la religion musulmane, à une origine rom, à la nationalité portugaise, qu’aucune étude n’avait encore ainsi étayée.
„En termes d’ampleur, ce qu’on peut appeler le racisme idéologique est relativement rare au Luxembourg“, observait Frédéric Docquier, membre du Liser en charge de la partie quantitative de l’étude, tandis que le CEFIS s’occupait du qualitatif auprès de 139 acteurs de terrain. „Par contre, on a aussi le constat, tiré de l’enquête qualitative, que la thématique du racisme est assez mal conceptualisée dans les structures, qu’elles soient publiques ou privées, à quelques exceptions près, dont les organismes chargés de défendre les personnes racisées. Ainsi, il y a très peu de stratégie claire pour faire face à des actes potentiellement discriminatoires et un manque de formation.“
Les 3.000 sondés n’arrivent pas à se mettre d’accord s’il y a eu plus, autant ou moins de racisme durant les cinq dernières années. „L’enquête qualitative révèle que cette apparente stagnation du racisme cache peut-être la transformation du racisme“, commente Frédéric Docquier. „On a moins d’actes agressifs, moins de racisme direct sur l’espace public et plus de microagressions et un transfert vers le numérique, donc un racisme peut être un peu plus sournois qu’il y a quelques années.“
Seulement 15,2% des sondées pensent qu’un acte raciste puisse être justifié (quand les chiffres atteignent 46% en France). S’il n’y a que peu de racisme idéologique, au sens de la conviction de l’existence de races et de leur hiérarchisation, l’étude établit par contre que les stéréotypes sont bien ancrés dans la société. 31,7% des résidents pensent aussi que certains groupes sont responsables d’une hausse de la violence et de la criminalité. Ce sont d’abord les afrodescendants, puis les gens des pays de l’Est, les Roms et enfin les Musulmans qui sont le plus souvent désignés.
Quand 45,7% des résidents pensent que certains groupes ethno-raciaux ont tendance à ne pas interagir, les Musulmans sont les premiers désignés, devant les Roms puis les Luxembourgeois. Le duo de tête est le même quand 30,3% des résidents pensent que certains groupes ont du mal à respecter les règles de bon voisinage. Par contre, pour ce qui est des discriminations directes évoquées par les victimes, les personnes noires repassant devant, en compagnie des musulmans. 38% des personnes de couleur noire et 28 % des Musulmans s’estiment victime de discriminations sur le lieu de travail, 27% et 28% dans l’enseignement, 35% et 34% dans la recherche d’un emploi, 37% et 32% dans la recherche d’un logement. 54,9% de ces expériences de discrimination vécues sont des traitements inégalitaires,41,3% des gestes ou paroles déplacées et 6,3% une agression physique.
C’est dans la recherche d’un logement (50%), dans la recherche d’un emploi (44,5%), sur les réseaux sociaux (43%), sur le lieu de travail (34,6%) et lors de contrôles de police (32,6%) que les discriminations ont le plus de chance d’arriver, selon les sondés, tandis que les experts et acteurs de terrain y ajoutent l’école pour l’inégalité des chances qui y serait la règle.
À noter que 48,8% des sondés pensent que la méconnaissance du luxembourgeois est un motif de discrimination répandu (le taux monte à 61% chez les Portugais), au même niveau que la couleur de peau ou les signes cultures distinctifs.
Actions à mener
Si le phénomène n’a jamais été saisi dans toute son ampleur, c’est qu’il est „invisible“ selon le terme des chercheurs. Les victimes parlent rarement de leurs expériences, parce qu’elles jugent cela inutile ou trop compliqué. Deux tiers des victimes interrogées ne les déclarent pas. La règle est de garder le silence. Une alternative souvent empruntée est celle de fuir son emploi ou de se replier dans sa communauté, tandis qu’oser s’exprimer est l’ultime recours.
C’est justement pour modifier ce constat que plus de la moitié des répondants pensent qu’il faut améliorer l’identification et la sanction des pratiques discriminatoires. C’est le monde du travail, suivi de l’éducation puis du logement qui sont désignés comme secteurs à prioritiser, où mettre en place des mesures de mixité sociale, un renforcement des sanctions et des campagnes de sensibilisation. „Il y a un cadre, mais il n’est pas toujours appliqué, surtout en matière de discrimination“, observe pour sa part Sylvain Besch du CEFIS. „Il y a un problème de lisibilité du cadre“ ajoute-t-il, en constatant qu’il n’y a pas d’application de la possibilité d’agir comme partie civile pour les associations et syndicats.
Sont identifiés comme parades possibles par l’étude: des besoins en formation à l’interculturel et au droit anti-discriminatoire, un renforcement de l’accès à la justice, une plus forte répression en introduisant l’incrimination aggravée des infractions de droit commun en cas de motif de haine ou encore le renforcement du CET. Dans le secteur de l’emploi, il est question de davantage de transparence dans le recrutement. La ministre Corinne Cahen, à cet égard, a déclaré qu’elle irait trouver l’Union des entreprises luxembourgeoises pour discuter des moyens de sensibiliser ses membres. La ministre a aussi jugé intéressante l’idée d’introduire une clause de non-discrimination dans les contrats entre agences immobilières et propriétaires.
Le CEFIS est en train de mener une étude qualitative sur les expériences de personnes discriminées. De son côté, Frédéric Docquier imagine de nouvelles pistes d’étude pour les chercheurs. „Un prolongement relativement naturel serait de mener des études plus expérimentales pour identifier de réelles pratiques discriminatoires“, dit-il, en songeant aux délicats testings dans le monde du travail.
On a moins d’actes agressifs, moins de racisme direct sur l’espace public et plus de microagressions et un transfert vers le numérique, donc un racisme peut être un peu plus sournois qu’il y a quelques années
Since 2000, IOM has been producing its flagship world migration reports every two years. The World Migration Report 2022, the eleventh in the world migration report series, has been produced to contribute to increased understanding of migration and mobility throughout the world. This new edition presents key data and information on migration as well as thematic chapters on highly topical migration issues, and is structured to focus on two key contributions for readers:
Part I: key information on migration and migrants (including migration-related statistics); and
Part II: balanced, evidence-based analysis of complex and emerging migration issues.
This flagship World Migration Report has been produced in line with IOM’s Environment Policy and is available online only. Printed hard copies have not been made in order to reduce paper, printing and transportation impacts.
The World Migration Report 2022 interactive page is also available here.
Ce rapport commandé par le Ministère de la Famille et de l’Intégration à l’OCDE intervient dans la phase de préparation d’une nouvelle loi d’intégration.
« Face à l’importance et à la diversité de la population immigrée, le Luxembourg doit répondre à plusieurs défis. Premièrement, si la situation sur le marché du travail des immigrés européens est relativement favorable en comparaison internationale, l’insertion professionnelle des migrants humanitaires reste un défi majeur. Ainsi, seulement 35 % des Erythréens et des Syriens étaient en emploi en 2019. Deuxièmement, la question de l’accès à un logement pérenne et à un coût abordable est peu documentée mais tangible pour ce groupe d’immigrés, comme pour le reste de la population. Cependant, contrairement aux ressortissants européens, leur situation administrative ne leur permet pas de s’installer dans une région frontalière où le coût du logement est plus faible. »
« L’intégration des jeunes immigrés et descendants d’immigrés, en grande majorité de parents d’origine européenne, est aussi particulièrement préoccupante. »
Les programmes existants sont présentés et analysés, des propositions d’amélioration sont émises: CAI – Contrat d’Accueilet d’Intégration, PIA – Parcours d’Intégration Accompagné et les PCI Plan communaux d’Intégration.
Parmi les nombreuses recommandations retenons une augmentation substantielle des heures de cours de langue.
Commentaires:
Le langage feutré de l’OCDE fait ressortir de vastes champs d’action à labourer.
Un regret : les auteurs ne semblent pas connaitre les MIPEX Migrant Integration Policy Index
Dans son ouvrage « Droit d’exil. Pour une politisation de la question migratoire » récemment paru aux Éditions MIX, le chercheur Alexis Nouss s’interroge sur la notion même d’exil et plaide pour la reconnaissance politique de la figure du migrant. Extraits choisis.
Le migrant d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier, travailleur algérien ou immigré polonais. Il n’est pas que migrant, agent d’un processus global, il est aussi exilé, acteur de son histoire et de la nôtre. Comme pour tout processus de connaissance, nommer précisément les choses constitue une étape initiale indispensable. Or, une crise de la nomination est venue animer un débat terminologique sur la désignation des migrants qui arrivent en Europe – à ne plus nommer ainsi : cessons de les nommer migrants, ce sont des réfugiés.
Le raisonnement veut que les migrants quittent leur lieu de naissance ou de résidence pour trouver de meilleures conditions de vie et que, par conséquent, nommer tous ceux qui arrivent aujourd’hui en Europe des « migrants » gomme la guerre, l’oppression, la persécution qui ont fait fuir ceux qui ont droit à l’asile et au statut de réfugié. L’argument, de plus, se renforce lorsque la France, par exemple, veut accepter les réfugiés (politiques) et rejeter les migrants (économiques).
Unis par la détresse, les réfugiés seraient tous ceux qui ont fui les conditions d’une vie impossible et ce départ involontaire fait partie de leur identité. À ce titre, qu’ils fuient la guerre ou la misère importe peu, distinction proscrite au demeurant par la Convention de Genève de 1951. Loin d’une lâcheté, leur fuite affirme la noblesse humaine qu’ils n’acceptent pas de voir niée en eux. S’ils fuient afin de vivre, leur refuser l’asile, même sous la forme d’une simple dénomination, équivaut à adopter une complicité passive avec ceux qui les ont poussé à la fuite. Être réfugié signifie d’abord être lorsqu’un sujet fuit la menace du non-être. L’exil ou la mort. […]
Quand le migrant cesse de migrer
Pour commencer, il est bon de soumettre les deux termes à la logique grammaticale. Migrant : participe présent du verbe « migrer ». Le migrant migre, le participe présent désignant en français une action en train de se faire et l’agent de cette action. Quand le migrant cesse de migrer, quand il est arrivé, il n’est donc plus (un) migrant. Qu’est-il donc ? Réfugié : vient du latin fugere, qui signifie « fuir », le préfixe re – indiquant non la répétition mais l’intensité. Un réfugié fuit.
Quand le réfugié cesse de fuir, quand il est arrivé, il n’est donc plus (un) réfugié. Qu’est-il donc ?
La rigueur terminologique prend le relais. Elle nous rappelle que la famille « migrante » appartient au vocabulaire animalier : les oiseaux ou les poissons migrent par instinct sans pouvoir s’y soustraire alors que les humains s’exilent en ce que, même soumis à la nécessité du départ, ils peuvent en bâtir un projet et transformer leur condition en conscience. En outre, les termes connexes (émigrants, immigrants, émigrés, immigrés) fleurent les décennies de l’après-guerre en Europe où l’idéologie du progrès et de la reconstruction demandait de la main-d’œuvre, « années-bonheur » dissipées aux vents de crises économiques successives.
Quant à l’emploi de « refugié », il relaie une erreur de catégorisation juridique et une approximation lexicale puisque la langue du droit n’utilise le terme et n’octroie le statut que lorsque l’asile a été administrativement accordé. De surcroît, l’appellation reconnaît à l’arrivant un destin mais qui ne dépend pas de lui car celui qui nomme (ou non) le réfugié en décidant de son statut se trouve sur un seuil, investi du pouvoir d’ouvrir ou non la porte. Un privilège qui sert à pleinement fonder l’hospitalité (« je t’accueille car tu viens ») autant que son refus (« je ne t’accueille pas car tu viens me tuer »).
Le « demandeur »
Autre prétendant lexical, le « demandeur d’asile ». Encore faut-il que la demande soit faite, c’est-à-dire que les conditions qui permettent de la déposer soient réunies, un encouragement qu’en France sont loin de dispenser les autorités. Si la position de demandeur crée de facto et d’une façon générale une asymétrie qui place les uns en position de pouvoir et les autres de soumission, la notion d’asile, elle, appelle à être examinée dans sa dimension temporelle.
On demande le refuge ou l’asile comme on donne le refuge ou l’asile mais cela ne suffit pas pour poser l’équivalence entre les deux notions. Puisque refuge sous-entend une fuite, il souligne une action en mettant l’accent sur la destination, en l’occurrence le dispositif qui donnera refuge et il suppose un terme éventuel à cette action, la valeur d’un refuge prenant sens devant l’imminence d’un danger et le perd lorsque le péril est écarté.
Ce qui éclaire des mesures telles que, en France, la « protection subsidiaire » et, au niveau européen, la « protection immédiate et temporaire », statuts de substitution lorsque les conditions pour l’octroi du statut de réfugié ne sont pas réunies. Celui-ci, d’ailleurs, n’est pas inamovible car il peut être révoqué ou on peut y renoncer.
L’asile, espace préservé
Asile, par contre, dont le sens étymologique renvoie à un espace préservé du pillage, implique un lieu et induit une idée de permanence. L’asile offre de reconstruire une vie, le refuge la protège provisoirement. Dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo évoque les villes françaises qui, depuis le Moyen-Âge jusqu’au XVIe siècle, intégraient des « lieux d’asile » considérés comme « des espèces d’îles qui s’élevaient au-dessus du niveau de la justice humaine » et qu’il détaille :
« Les palais du roi, les hôtels des princes, les églises surtout avaient droit d’asile ».
Au grand bonheur (hélas provisoire) d’Esmeralda, c’est le lieu – cathédrale qui possédait et exerçait le droit d’asile auquel avait accès l’individu le choisissant. Dans certains états américains, cette tradition de l’asile dans les lieux de culte est perpétuée. On se souvient aussi de l’Église Saint-Bernard à Paris en 1996 dont l’évacuation anticipa les violences policières ultérieures à l’endroit des migrants.
Un mélange de droit du sol et du droit de la personne, en somme, moins arbitraire en cela que le droit d’asile tel qu’administré aujourd’hui sous les auspices de l’OFPRA, du CNDA et du ministère de l’Intérieur. Ce qui est d’autant plus inacceptable que ce droit appartient au registre démocratique fondamental. Alors qu’il souffrait de ne pas le recevoir du gouvernement allemand de 1930, Trotsky y voyait une contradiction car il considérait le droit d’asile comme un principe essentiel de la démocratie :
« L’utilisation du droit d’asile, en principe, ne se distingue nullement de l’utilisation du droit de vote, des droits de liberté de la presse, de réunions, etc. »
Ni migrant, ni réfugié, alors qui est-il ?
Ni migrant, ni réfugié, qu’est-il alors, celui qui vient et demande asile ? Toute la question. Migrants ou réfugiés : les termes, supposés qualifier les individus visés, servent surtout à les agglomérer en une masse anonyme.
Les nommer « exilés » les sort d’une telle opacité et affirme que le migrant est un sujet, un sujet en exil, avec une histoire, une mémoire, un chemin, un récit, une expérience à partager dont les récits religieux ou littéraires des pays d’accueil ont façonné les cadres et les mémoires familiales recueilli les traces.
Le terme « migrant » n’est pas abandonné dans ces pages afin d’affirmer un lien dialectique avec « exilé » et puisqu’il est celui employé par l’opinion publique et par la prose journalistique pour désigner les arrivants irréguliers en Europe, celles et ceux vivant le drame de l’exil de masse contemporain. En outre, il s’attache encore à la notion d’exil une connotation élitiste comme si elle ne concernait qu’une minorité somme toute privilégiée (des personnalités artistiques ou politiques), ce qui la rend préjudiciable à notre usage.
« L’exilé » s’inscrit dans une tradition culturelle connue et positivement valorisée en Europe au point qu’une aura de respect s’attache à sa figure, une noblesse – indépendamment du fait que de nombreux aristocrates ont fui les révolutions car, symétriquement, de nombreux révolutionnaires roturiers ont dû choisir l’exil. À ce titre, le migrant doit d’abord être reconnu comme un exilé. En outre l’usage de ce dernier terme pour désigner les migrants irréguliers aide à spécifier cette migration autrement que par son irrégularité.
La transmissibilité de l’exil
La pérennité de l’asile résonne avec la transmissibilité de l’expérience exilique. Là où le migrant porte une identité destinée à disparaître après l’intégration ou l’assimilation, l’exilé conserve la sienne quelle que soit l’issue du parcours car il garde mémoire de l’avant qu’il fait dialoguer avec le présent pour le transmettre aux générations à venir et féconder le futur.
La migration réclame des chiffres, l’exil exige des mots ; la migration consiste en un trajet, l’exil dans le récit du trajet. L’entendre redonne un vécu au migrant, riche et pluriel, apte à guider le vivre-ensemble malaisé des sociétés contemporaines. Car même lorsque l’itinéraire migratoire est reconnu, le discours citoyen insiste sur le point d’arrivée, le discours communautariste sur le point de départ.
Or, l’expérience exilique conjoint les deux, dans une dynamique de multi – appartenance qui vient redonner souffle aux mécanismes de cohésion interne, ce dont ont vitalement besoin les nations européennes autant que la communauté les rassemblant, tant elles sont toutes en panne d’idéaux unificateurs, mis à part les populismes de tout bord.
Dire que le migrant est d’abord un exilé, c’est passer de la stricte question migratoire à la condition exilique et initier un changement qui compte stratégiquement car il permet, élargissant considérablement l’angle de vue, de fonder conceptuellement la possibilité d’un droit d’exil inhérent à cette condition. Une condition exilique, de même qu’on a pu traiter d’une condition humaine, d’une condition féminine, d’une condition noire, d’une condition juive, même si ces exemples peuvent sembler suspects en nos temps de déconstruction identitaire généralisée.
On habite le monde, le monde nous habite
Si les conditions de ces « conditions » sont évidemment historiques, variées et variables, brisant ainsi toute prétention d’essentialisation, les identifier et les désigner permet de les considérer comme des aspects de l’« humaine condition » qui, de Montaigne à Hannah Arendt, a inspiré les luttes d’émancipation en sollicitant la conscience née d’une appartenance commune.
L’expérience exilique module et traduit à la fois la condition humaine comme l’interprètent à leur façon la condition noire ou la condition féminine, nuances du prisme aux multiples facettes qu’est le vivre-humain. L’exil ou la mort car seul l’exilé meurt – le migrant et le réfugié n’ont que des existences de (sans-)papier. Ne pas accueillir l’arrivant par devoir moral ou politique ou par intérêt mais parce que nous partageons une même condition de vivant, un même habitat sur terre. Un lieu ne garantit pas plus une appartenance qu’une identité – on habite le monde, le monde nous habite : « Casa mia, casa tua » disent les Italiens, « Casa nostra, casa vostra », disent les Espagnols.
Célébrer l’exil en tant que forme de vie – selon l’expression de Ludwig Wittgenstein qui, de Vienne à Londres, pratiquait la philosophie comme un exil loin de toute certitude – amène à regarder différemment le monde qui nous entoure. Si l’exil, au-delà de sa définition géographique ou politique, désigne d’une manière générale, l’absence d’un chez-soi permanent et protecteur, toute personne privée d’un tel droit fondamental peut être considérée en exil : en dehors d’un pays, en dehors d’un tissu communautaire, en dehors d’une norme sociale. Habiter l’incertain résume l’expérience de la migration en y intégrant celles de la précarité urbaine, de l’internement psychiatrique, de la prison, de la prostitution, de la maladie ou du handicap.
Ce sont là des exils de proximité qui devraient éveiller la sensibilité aux migrations venues de loin. L’entendre et le comprendre veille à l’exercice d’une démocratie qui ne connaît de frontières, internes ou externes, que pour savoir, lorsqu’il le faut, les ouvrir et accueillir l’autre.
L’auteur est titulaire de la chaire Exil et Migrations à la FMSH.
Der Zusammenhang zwischen Klimawandel und Migration wird immer häufiger diskutiert. Seltener im Fokus stehen dagegen innovative Ansätze im Bereich Migration, die zu einem gerechten, ökologischen Übergang in der Wirtschaft beitragen können – wie beispielsweise Ausbildungs- und Arbeitsmarktpartnerschaften zwischen Afrika und Europa. Ein Essay von Ipek Gençsü, Research Fellow, Klima- und Nachhaltigkeitsprogramm, ODI, und Raphaela Schweiger, Teamleiterin Migration, Robert Bosch Stiftung.
– La « crise » des réfugiés » et le « problème » des migrations continuent, même en ce début d’année 2021, où la crise du coronavirus reste omniprésente dans la presse, à occuper la Une des journaux : morts en Méditerranée, conditions de vie scandaleuses dans les camps en Grèce (Moria) ou en Bosnie-Herzégovine (Lipa), destruction de campements à Paris et à Calais. Nous nous trouvons ici devant un « shutdown de l’humanité en Europe » (Heribert Prantl dans la Süddeutsche Zeitung) : c’est une situation indigne d’une Europe, Prix Nobel de la Paix 2012 et d’une Communauté/Union qui se veut garante de « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, d’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme », comme le précise l’article 2 des Traités de l’Union Européenne.
Heure d’actualité de la sensibilité politique Piraten au sujet du racisme
Heure d’actualité du groupe politique CSV au sujet de la situation de discrimination et de racisme au Luxembourg
Dans une résolution adoptée la Chambre demande des ressources supplémentaires pour le CET et dans une motion la Chambre demande une étude sur le Racisme au Luxembourg d’ici la fin 2021.
Rapport de la CCDH sur le droit au regroupement familial des bénéficiaires de protection internationale au Luxembourg
Depuis la « crise migratoire» de 2015, on connaît une importante augmentation du nombre de demandeurs de protection internationale (ci -après « DPI ») en Europe et au Luxembourg. De nombreux DPI ont été séparés de leurs familles et dans la plupart des cas, après avoir obtenu le statut de protection internationale, le regroupement familial est leur première priorité. Ainsi, d’après le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, « il est largement établi que le fait de retrouver les siens est une priorité essentielle pour les réfugiés »