Cher Alborz Teymoorzadeh

LETTRE OUVERTE

Cher Alborz Teymoorzadeh



Enrico Lunghi, qui a été son professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Luxembourg, écrit à Alborz Teymoorzadeh, jugée persona non grata au Luxembourg. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Enrico Lunghi, qui a été son professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Luxembourg, écrit à Alborz Teymoorzadeh, jugée persona non grata au Luxembourg. (Photo: Maison Moderne/Archives)

La commission consultative du ministère de l’Intérieur a pris la décision d’expulser l’artiste d’origine iranienne, Alborz Teymoorzadeh, considérant qu’il ne pouvait justifier de ressources financières suffisantes. Une affaire qui met la communauté artistique en émoi. Dont Enrico Lunghi

Cher Alborz Teymoorzadeh,

Je t’ai connu comme un brillant étudiant dans mes cours à l’Université du Luxembourg et j’ai suivi tes premiers pas en tant qu’artiste-photographe – tu as du talent et tu as l’énergie nécessaire pour le faire épanouir, c’est l’un des plus beaux cadeaux que notre monde puisse espérer.

J’apprends par les médias qu’on ne te laisse pas rester dans ce pays où tu as commencé à faire germer de belles graines, au motif que tes «créations artistiques n’apportent pas de véritable plus-value en termes d’intérêts économiques pour le Luxembourg, ne servent pas réellement les intérêts du pays et ne peuvent pas être considérées comme une intégration dans le contexte économique national ou local» (cité d’après wort.lu et le Lëtzebuerger Land).

Je pense qu’au-delà même de son inanité et de son inhumanité, un tel propos est simplement irrecevable! Il faudrait déjà que ses auteurs définissent ce qu’est la plus-value économique d’une création artistique et qu’ils en fournissent des exemples. Et pour ma part, je constate que sans le budget du ministère de la Culture qui leur permet de vivre (parfois à peine de survivre), il n’y aurait pratiquement aucun artiste dans notre pays!

Je suis persuadé que tu feras fructifier ton travail ailleurs, et cela me console. Je sais aussi que l’histoire (de l’art) est pleine d’exemples d’artistes rejetés qui ont plus tard fait rougir de honte leurs détracteurs, et au Luxembourg on n’en est pas au coup d’essai dans ce domaine: combien de temps Joseph Kutter a-t-il dû supporter les sarcasmes des bienpensants de son époque avant d’être considéré le plus grand, et Théo Kerg l’oubli, alors qu’il est plus présent dans les livres d’art européens que bien des gloires locales? Et Michel Majerus? Bert Theis? Même la Family of Man est restée enfouie des décennies avant d’être dignement exposée à Clervaux.

Prends-le comme un gage de qualité – on ne veut pas de toi ici, c’est donc que tu vas faire du chemin, c’est un peu comme avec les nazis et leur art dégénéré: tous les artistes qu’ils ont condamnés sont restés dans l’Histoire.

Je te souhaite plein de bonheur et de succès, et qui sait? un jour, on s’arrachera peut-être tes œuvres et tu reviendras couvert d’honneurs.

Bien à toi,

Enrico Lunghi

Ton professeur d’Histoire de l’art contemporain à l’Université du Luxembourg