Demandeurs d’asile : «On ne fait que créer davantage de précarité”
La situation actuelle de certains demandeurs d’asile inquiète de nombreuses associations, comme Passerell qui demande au gouvernement de prendre ses responsabilités.
Depuis plusieurs semaines, des demandeurs d’asile dorment sous le pont Adolphe, en plein cœur de la capitale, seulement protégés par des toiles de tente. La raison ? D’après le désormais ex-ministre de l’Immigration et de l’Asile, Jean Asselborn, les capacités d’accueil du Luxembourg sont arrivées à saturation.
Le 20 octobre, il a donc décidé d’exclure des structures d’accueil les hommes seuls qui relèvent du règlement Dublin (lire encadré) au profit des familles et des personnes jugées vulnérables. Une situation qui révolte de nombreuses associations dont Passerell qui aide ces nouveaux arrivants dans leurs démarches administratives et juridiques
«Le ministre a reconnu qu’il violait le droit européen et national, tempête Marion Dubois, la directrice de Passerell. Le Luxembourg a l’obligation légale d’héberger chaque personne qui dépose une demande d’asile.»
Pour l’ASBL, la décision entraîne une discrimination intolérable. «On nous dit qu’une personne seule ne peut pas être vulnérable, alors que nous en avons vu souffrir du paludisme. Et puis, nous avons aussi rencontré des hommes qui n’étaient pas en procédure Dublin.»
Aujourd’hui, difficile pour Passerell de dire combien de personnes sont toujours dans cette situation alors que les températures sont de plus en plus basses. «Nous avons vu 37 personnes, mais cela ne reflète pas la réalité, continue Marion Dubois.
Dans le petit campement sous le pont Adolphe, ils sont encore 4 ou 5, mais c’est très compliqué de faire un suivi. Et quand certains trouvent une place en foyer, d’autres viennent les remplacer.» Face à des gens sans carte sim, sans accès internet, sans adresse, voire sans papiers, difficile pour la petite équipe de garder le contact avec eux.
Après avoir paré au plus urgent, à savoir répondre aux besoins primaires des demandeurs en leur fournissant tentes, sacs de couchage et couvertures, l’association a décidé de contre-attaquer. Avec Amnesty International Luxembourg, Médecins du monde et Ryse, elle a déposé un recours devant le tribunal administratif pour contester la légalité de cette décision.
«Mais il faut deux ans pour que les juges statuent sur le fond, se désole Marion Dubois. Nous avons donc déposé un référé pour obtenir une ordonnance dans les quinze jours.» La réponse est tombée vendredi dernier, mais s’avère négative. «Je précise que le juge ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire. La question reste donc ouverte.»
Résignés sur leur sort
Ce revers n’arrêtera pas les associations qui continuent d’aider ces migrants comme elles le peuvent. Pour Passerell, cela signifie leur expliquer leurs droits et les aider dans leurs démarches. «Le plus fastidieux, c’est de les mettre en relation avec un avocat car il faut agir dans les 24 à 48 h, mais c’est compliqué avec des gens qui ne parlent ni français ni anglais.»
La plupart sont des jeunes hommes, âgés de 18 à 25 ans, originaires d’Érythrée et du Soudan qui, évidemment, ne sont pas au fait des règlements européens ni des démarches administratives luxembourgeoises. Habitués à de mauvaises conditions depuis leur départ, ils sont en plus souvent résignés sur leur sort.
Le début anticipé de la Wanteraktioun, le 15 novembre, pourrait offrir un peu de répit, tout comme l’aménagement la semaine dernière du Hall 7 de Luxexpo. Mais tout ça ne saurait constituer une réponse durable et adaptée. «Ce n’est pas leur place. Les demandeurs d’asile doivent avoir accès à des structures pour les demandeurs d’asile», martèle Marion Dubois.
Une décision avant tout politique
D’autant que d’après les associations, cet afflux de nouvelles personnes aurait très bien pu être anticipé comme cela a déjà été le cas. Lors de l’arrivée massive de réfugiés ukrainiens l’année dernière, des solutions d’hébergement ont pu être trouvées même si leur situation et leur statut n’étaient pas les mêmes que ceux des demandeurs actuels. Mais pour Passerell, cela ne fait aucun doute, cette décision est avant tout politique.
«Derrière, il y a l’idée d’envoyer un message aux passeurs et aux migrants : ne venez pas chez nous, vous ne serez pas bien accueillis.» Et ce n’est pas le changement de majorité et de gouvernement qui donnera de l’espoir à Marion Dubois. «On attend du nouveau gouvernement qu’il revienne sur cette décision, mais sans trop y croire.»
Si l’accord de coalition parle effectivement de désengorger les foyers d’accueil, l’association n’y voit pas la mise en place de réelles politiques. Le Luxembourg ne fait d’ailleurs pas figure d’exception. Partout en Europe, le climat politique est au repli sur soi.
«La Belgique fait pareil que le Luxembourg ou même la France. Jean Asselborn tenait le même discours que Nicole de Moor (NDLR : secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration). Il n’y a encore que l’Allemagne qui résiste, mais pour combien de temps?» La montée des partis populistes ou d’extrême droite partout sur le continent ne va pas arranger les choses.
Du temps perdu
Pour Passerell, cette solution n’est évidemment pas la bonne et est même contre-productive. Tant que ces demandeurs d’asile restent à la rue, ou même en foyer, impossible de trouver un véritable logement, même pour ceux qui touchent le Revis. «On ne fait que créer davantage de précarité. Quand on vit sans toit, on ne sait même pas comment faire pour manger un repas chaud. C’est aussi un problème de santé publique.»
Et si, selon le règlement Dublin, ces hommes devraient retourner en Italie pour déposer leur demande, il y a de fortes chances qu’ils restent au Grand-Duché et finissent par obtenir malgré tout le statut de réfugiés sur le territoire luxembourgeois. Pour Passerell, autant accélérer le processus. «C’est du temps perdu qui aurait pu être utilisé par exemple pour leur donner accès à des cours de luxembourgeois.»
Qu’est-ce que le règlement Dublin?
Au cœur de la récente polémique sur le durcissement des conditions d’hébergement des migrants, on trouve le règlement Dublin. Ce système européen permet de déterminer quel État membre est responsable de la prise en charge d’un demandeur d’asile. Pour cela, le règlement Dublin se fonde sur trois critères :
• Si la personne a déjà de la famille dans un pays européen, elle peut faire sa demande dans celui-ci.
• Si elle possède un titre de séjour ou un visa en cours de validité, elle peut alors présenter un dossier auprès de l’État qui lui a délivré ces documents.
• Enfin, si aucun de ces critères n’est rempli, la requête doit être traitée par le premier pays qui a accueilli le demandeur d’asile (généralement l’Italie, la Grèce ou l’Espagne).
Si ce règlement devait faciliter et accélérer les procédures, dans les faits, il permet surtout aux pays européens de se renvoyer la balle. «Au Luxembourg, beaucoup de demandeurs viennent de Libye en passant par l’Italie», détaille Marion Dubois. Mais comme les conditions de vie n’y sont pas optimales, beaucoup continuent jusqu’au Grand-Duché qui, en se basant sur le règlement Dublin, estime qu’il n’a pas à prendre ces migrants en charge.
Une activité maintenue pour au moins deux ans
En 2022, Passerell a connu un été particulièrement turbulent. L’association avait besoin de 60 000 euros pour éviter de mettre la clé sous la porte après six ans d’existence. Depuis 2016, celle-ci fonctionnait en partie grâce aux appels à projets de l’Œuvre nationale de secours Grande-Duchesse-Charlotte et la fin de ces derniers a fortement impacté les finances de la petite structure.
Heureusement, Passerell a pu compter sur un grand élan de générosité venant aussi bien de particuliers que d’entreprises. Un an plus tard, la directrice tient un discours plus serein. «Nous avons redressé la barre, affirme Marion Dubois. Notre activité est maintenue pour les deux prochaines années.»
L’association a trouvé depuis de nouveaux appels à projets, aussi bien européens que luxembourgeois, qui lui permettent de rester à flot. Et si un financement public lui permettrait de développer une stratégie plus pérenne, il pose aussi la question de l’indépendance à laquelle Passerell, ne se privant jamais de critiquer le gouvernement, est très attachée.
Mais avec seulement cinq salariés et deux personnes en mesure d’insertion dans l’emploi, l’association n’a pas les moyens humains nécessaires à ses besoins. «Nous aurions besoin d’être une quinzaine.»