«Faire aimer ce pays»

Le Quotidien, 22 juin 2024 , Geneviève Montaigu
Les frontaliers ne semblent pas intéressés par les projets du vivre-ensemble. En revanche, les commissions communales comptent des membres étrangers qui ont envie de faire aimer le pays.

La grande nouveauté de la loi sur le vivre-ensemble interculturel est l’intégration des travailleurs frontaliers dans la mise en œuvre de la politique choisie par le gouvernement. L’appel à projets lancé par le ministère de la Famille visait d’ailleurs à soutenir des actions «visant à identifier les besoins en termes de participation des travailleurs transfrontaliers» et à «proposer des activités favorisant les échanges entre ces derniers et les résidents», comme l’indique le ministère.

Force et de constater que parmi les quatre projets sélectionnés, aucun ne correspond à cet axe. «Malheureusement, nous n’avons pas de projets spécifiques aux travailleurs frontaliers et nous avons été déçus», admet Catia Fernandes, de la division du «Vivre-ensemble» du ministère de la Famille. Les très rares qui ont été proposés n’ont pas convaincu, comme la réalisation d’une étude sur les frontaliers dans la région Sud. Le ministère souhaiterait trouver un partenaire qui pourrait l’aider à toucher ce public cible.

En attendant, dans les communes, les nouvelles commissions du Vivre-ensemble (anciennement commission de l’Intégration) se sont mises en place après les dernières élections. Là aussi, les frontaliers peuvent y participer. Ils ne sont pas pléthore. Même la ville de Luxembourg n’en compte pas.

Pourquoi est-ce important de les embarquer dans le vivre-ensemble au Luxembourg, eux qui s’empressent de rentrer chez eux dès la journée de travail terminée? Nous avons posé la question au coprésident de la commission du Vivre-ensemble de Mondorf-les-Bains, Gérard Doucet, qui a fait le choix de vivre au Grand-Duché il y a 20 ans. «On ne pourra pas avoir des centaines de milliers de retraités qui dépensent leur pension à l’étranger sans qu’à un moment cela n’entraîne un déséquilibre financier», estime cet auto-entrepreneur. «Bien sûr, pour cela, il faut des logements abordables, mais il faut surtout faire aimer le Luxembourg, où il fait encore bon vivre.»

En observant l’échec du vivre-ensemble en France qui a mené à la division du pays, Gérard Doucet a voulu travailler sur la question de l’intégration, lui qui estime qu’elle est plutôt difficile au Grand-Duché, pour des personnes arrivées, comme lui, en milieu de carrière. «Il faut éviter d’en arriver à des situations comme celle que connaît la France avec la moitié des Français qui n’aiment plus leur pays», dit-il.

Il ne parle pas luxembourgeois et se dit même agacé par cette condition que fixent les autochtones pour réussir à s’intégrer dans le pays. «Il faut surtout donner l’envie d’aimer et de découvrir le Luxembourg, c’est un sujet vital pour l’avenir du pays», affirme Gérard Doucet qui préférerait des cours d’histoire et de géographie aux cours de langue. «Les Luxembourgeois nous donnent l’impression qu’ils n’ont que leur langue à transmettre, alors qu’il s’agit surtout de faire aimer une société et tout ce qui fait le “bon vivre” de ce pays, c’est pour moi la clé d’entrée.» Gérard Doucet a tout naturellement proposé à la commune d’adhérer au pacte citoyen («Biergerpakt»), mis en place dans le cadre de la nouvelle loi sur le vivre-ensemble. Le pacte est fondé «sur le respect mutuel, la tolérance, la solidarité, la cohésion sociale et la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination».

«Table multiculti»

Candida Esteves, ancienne conseillère communale libérale de la cité thermale et membre de longue date de la commission du Vivre-ensemble, se réjouit de compter trois frontaliers dans les rangs. «Ils travaillent soit au casino, soit au domaine thermal et sont impliqués dans le quotidien de Mondorf», précise-t-elle. Le bourgmestre, Steve Reckel, trop content de pouvoir compter sur des frontaliers, a même permis de dépasser le nombre de membres normalement requis et aujourd’hui, la commission en compte 28.

Le 5 juillet prochain, elle organise sa traditionnelle «table multiculti», où les participants ramènent des plats typiques de leur pays d’origine. La première édition avait attiré une cinquantaine de personnes. Aujourd’hui, c’est devenu une grande fête de la diversité, avec tentes et orchestre. Les échanges y sont aussi amicaux que nourrissants. Et en plusieurs langues. Cette année, les boissons seront payantes, mais pour une bonne cause. L’argent récolté est destiné au foyer de jour pour handicapés de la commune. L’intégration jusqu’au bout.