Grand-mère, raconte-nous ton histoire
Lovo», c’est le nom qui a été choisi pour ce projet du Centre pour l’histoire contemporaine et digitale (C2DH). Un doux mélange des mots «love» (amour en anglais) et «avó» (grand-mère en portugais) pour désigner la mémoire des «mémés» de la communauté portugaise eschoise. Une jeune chercheuse de l’université du Luxembourg, Mariam Dalal, qui copilote ces travaux, leur lance aujourd’hui un appel pour collecter leur témoignage.
En quoi consiste votre projet?
Il porte sur l’histoire d’Esch-sur-Alzette. Avec les gens et pour les gens. L’histoire publique, c’est ça : les souvenirs, les pensées, les opinions, toutes les histoires racontées, celles qui n’ont jamais fait partie du récit officiel et qu’on veut aujourd’hui intégrer. Le but étant de les restituer au grand public, sans élitisme.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est le thème du chez-soi. Car moi-même, je viens d’arriver au Luxembourg et je découvre ce mélange de nationalités. Je veux comprendre comment toutes ces communautés coexistent. Est-ce qu’elles changent la ville, est-ce que la ville les change? Avec quel impact sur leur propre intérieur?
On a choisi de s’adresser aux grands-mères parce qu’elles font le lien entre l’intérieur et l’extérieur du foyer, le privé et le public. Ce sont des femmes qui se sont occupées des enfants à la maison, mais qui ont aussi transmis leur culture, leurs pratiques, leur folklore, hors des murs. Elles se sont imprégnées de la ville tout en la changeant.
Et pourquoi spécifiquement des Portugaises?
Simplement parce qu’on souhaite pouvoir étudier une communauté qui est intégrée depuis plusieurs décennies.
Que sait-on de la vie de ces femmes?
À la différence des immigrés italiens qui sont venus au Luxembourg seuls, pour y travailler, on sait que les Portugais sont venus en famille, et beaucoup ont posé leurs valises à Esch-sur-Alzette parce que des membres de leur communauté y étaient déjà établis.
Quand on parle de migration, les sujets classiques sont plutôt l’industrie ou le travail. Auprès de ces grands-mères, ce qu’on veut étudier, c’est ce qu’elles ont ramené avec elles, ce qu’elles ont transmis aux générations suivantes, et la façon dont elles ont fait de cette nouvelle place la leur.
Les grands-mères portugaises et aussi cap-verdiennes ont une place à part dans les familles et sont très respectées. Ce sont elles qui prennent soin des petits-enfants quand les parents travaillent. Elles incarnent le noyau, même géographiquement : la grand-mère habite à proximité de ses enfants et petits-enfants. C’est quelque chose de culturel, qui n’est pas directement en lien avec la migration, mais qui s’intensifie dans ce contexte.
Que souhaitez-vous récolter?
Tout ce qui relève du patrimoine culturel immatériel. Ces mamans chantaient-elles des chansons à leurs enfants qui ont depuis été reprises dans des publicités ou traduites en d’autres langues? Préparaient-elles des pâtisseries qu’on a ensuite retrouvées dans les boulangeries, peut-être sous un autre nom? Ont-elles transmis un savoir-faire, une manière de faire de la couture, des symboles, certaines couleurs qu’on voit aujourd’hui en ville?
C’est une manière de retracer l’origine de choses qu’on voit tous les jours et dont on ignore qu’elles ont été empruntées ou fusionnées avec la culture portugaise.
Quelle est la finalité du projet?
Durant la biennale culturelle d’Esch, on organisera des visites guidées audiovisuelles dans des endroits choisis par ces grands-mères. Leurs voix guideront alors les visiteurs sur place à travers des parcours nocturnes jonchés d’éléments évoqués lors des entretiens et réinterprétés par des artistes.
Avis aux «avós»
Le C2DH recherche des grands-mères lusophones de toute tranche d’âge, installées à Esch en famille ou qui y ont construit leur famille, qui ont des enfants, des petits-enfants. Elles seront invitées à partager leur parcours – ça peut être dans leur langue maternelle. Pour participer, contactez l’équipe de Mariam Dalal par e-mail à phacs@uni.lu.