«Je me demande si Frieden sait encore ce qu’est le CSV»
Le Premier ministre n’exclut pas d’externaliser les procédures d’asile vers des pays tiers. L’opposition réagit sous le choc. Ce que les partenaires de coalition et les partisans en pensent maintenant.
Luc Frieden (CSV) peut s’imaginer traiter les demandes d’asile en dehors de l’Union européenne. Il «se demande si certaines de ces demandes d’asile ne pourraient pas être traitées dans les pays directement voisins de ces pays de l’UE. Le CSV voit cela de manière plus nuancée», a déclaré le Premier ministre dans une interview accordée au Luxemburger Wort.
Pourtant, la tête de liste du CSV pour les élections européennes, Christophe Hansen, s’était encore opposé au modèle rwandais lors du congrès du Parti populaire européen (PPE). «Cette mesure ne correspond pas à la ligne du CSV en matière de politique migratoire», avait alors déclaré le député.
Il n’a pas fallu longtemps pour que ces déclarations provoquent une levée de boucliers de l’opposition. La porte-parole des Verts Sam Tanson a parlé d’une «double morale du CSV» et le député du LSAP Franz Fayot de déclarations «honteuses» du Premier ministre, car à travers les déclarations de Luc Frieden, le Luxembourg est soudainement associé au modèle rwandais. Ce dernier fait référence à l’accord que Londres avait signé avec Kigali pour y expulser ses migrants illégaux, et sous-traiter ses demandes d’asile, en échange d’une somme d’argent.
Pourtant, Luc Frieden n’aurait pas du tout fait référence au modèle rwandais dans l’interview, affirme le ministère de l’Intérieur: «Il a simplement soulevé la question de savoir si certaines demandes d’asile ne pouvaient pas être traitées dans les pays directement voisins de l’UE, ce qui est totalement différent du modèle rwandais.»
Le Parlement européen adopte la vaste réforme de la politique migratoire
Alors, l’externalisation des demandes d’asile est-elle une position officielle du gouvernement CSV/DP? Dans un courriel, le ministère répond qu’il n’y a «aucune proposition de l’UE d’introduire le modèle britannique du Rwanda». «Le gouvernement luxembourgeois ainsi que le Premier ministre sont opposés à un tel modèle.» Le gouvernement affirme continuer à s’engager pour que les droits de l’homme et les droits d’asile soient respectés dans le pacte d’asile de l’UE.
Un alignement avec l’ADR
Le fait que Frieden puisse envisager d’externaliser les procédures d’asile dans des pays tiers ne rencontre cependant pas l’opposition de tous dans le paysage politique. «Que ce soit en dehors de l’Europe ou à la frontière extérieure de l’UE, il doit être possible de déposer une demande d’asile. La discussion géographique n’est pas si importante que cela», commente la tête de liste de l’ADR pour les élections européennes à propos du débat sur le modèle rwandais. Dans son programme électoral pour les élections européennes, son parti évoque également l’idée de procédures d’asile dans des pays tiers. L’important est plutôt que les conditions dans lesquelles les procédures d’asile sont menées soient «humaines et équitables».
Il se félicite que Luc Frieden envisage également d’externaliser les procédures d’asile vers des pays tiers. «Mais je me demande si Luc Frieden est revenu dans le bon parti après dix années d’absence, ou s’il sait encore ce qu’est le CSV.» Que ce soit sur la politique d’asile, l’énergie nucléaire ou d’autres sujets, l’opinion de Luc Frieden n’est pas toujours en accord avec celle de son parti, constate Fernand Kartheiser. Dans le cas concret des procédures d’asile, le Premier ministre semble s’aligner avec l’ADR.
Le DP plus nuancé
Chez le partenaire de coalition, le ton est différent de celui de l’ADR. La candidate du DP aux élections européennes, Jana Degrott, ne critique pas directement les déclarations de Frieden, mais si le Premier ministre devait envisager de traiter les procédures d’asile selon le modèle rwandais, ce ne serait «pas OK», dit-elle. En principe, le DP soutient la réforme de l’asile qui a été votée cette semaine à Bruxelles.
«Nous devons prendre plus de responsabilités en tant qu’UE et parler d’une seule voix. Nous y sommes parvenus avec la réforme de l’asile. Nous devons maintenant veiller à ce qu’il y ait une pratique commune pour les procédures d’asile aux frontières extérieures de l’UE, et que les règles soient respectées», nuance Jana Degrott. Nous sommes contre les retours forcés illégaux et contre le fait que «les personnes qui sont en danger dans leur pays d’origine soient renvoyées».
Le chef de file du DP pour les élections européennes, Charles Goerens, est également de cet avis. Il estime que la réforme de l’asile n’est pas forcément «satisfaisante», mais qu’il s’agissait du meilleur compromis possible. À l’avenir, toutes les personnes qui ont besoin de protection devraient continuer à avoir la chance de bénéficier d’une procédure d’asile équitable. Il est important que la convention de Genève sur les réfugiés et la convention des droits de l’homme soient strictement respectées dans les pays tiers où les procédures d’asile ont lieu.
Charles Goerens ne veut pas parler de «modèle rwandais» en rapport avec la réforme de l’asile. Selon lui, ces deux systèmes sont différents, car le gouvernement britannique, qui est à l’origine de ce concept, souhaite expulser les personnes vers le Rwanda sans examiner leur demande d’asile, où elles pourraient ensuite demander l’asile. Ce n’est pas ce que propose la nouvelle législation européenne. L’eurodéputé n’a pas non plus voulu commenter directement les déclarations du Premier ministre Luc Frieden. «Je vous ai fait part de ma position», a-t-il déclaré.