«Je ne m’occupe pas des assistants parlementaires»
Corinne Cahen: Je ne suis pas dans les rouages bruxellois et strasbourgeois, si bien que c’est Monica Semedo elle-même qui m’a contactée en décembre et je l’ai écoutée. Je ne pensais rien, ni dans un sens ni dans un autre. Je n’ai pas du tout compris au début ce qui s’était passé, je l’avoue. Je ne disposais que de la version de Monica, qui m’expliquait que la procédure n’était pas correcte. Je ne connaissais pas l’envergure du dossier.
La démission des trois assistants ne vous a pas mis la puce à l’oreille?
En tant que présidente du parti, je ne m’occupe pas des assistants parlementaires, ni à Bruxelles ni à Luxembourg, car nous avons une séparation stricte entre la fraction et le parti. Je pense que les assistants qui ont démissionné ont bien fait de se plaindre des faits de harcèlement auprès des instances du Parlement européen.
Que s’est-il passé entre l’instant où le secrétaire général du DP, Claude Lamberty, annonce que la lettre d’excuses de Monica Semedo clôt l’affaire et la convocation une semaine plus tard d’un comité des sages appelé à juger si elle peut encore prétendre être membre du parti?
L’affaire était close à ce moment-là parce que l’on attendait que les organes du parti se réunissent. On est dans un pays démocratique avec des lois. On est un parti démocratique qui a des statuts avec un bureau exécutif et un comité directeur qui se réunissent tous les mois. Il était évident que ce n’était pas au secrétaire général seul ou à la présidente seule de prendre une décision. Il appartient aux organes du parti de le faire en respectant les statuts.
Depuis, Monica Semedo a démissionné du DP et vous souhaiteriez récupérer son mandat…
On m’a posé la question, effectivement, et j’ai répondu que oui. J’ai eu Monica au téléphone et elle m’a dit qu’elle comptait le conserver et c’est son droit. C’est son mandat, c’est son siège, mais je ne vais pas dire que le parti n’aimerait pas le récupérer.
L’opposition vous reproche votre inertie dans la gestion de la pandémie au sein des maisons de soins et de retraite et l’absence d’un plan national pour les accompagner pendant cette crise. Que lui répondez-vous?
C’est complètement faux. Nous travaillons tous les jours afin de trouver le juste équilibre entre protection contre le virus et liberté individuelle. Nous avons fait et faisons des tas de choses, aussi bien pour les personnes âgées que pour les personnes vulnérables et celles en situation de handicap.
Nous travaillons étroitement avec la Copas, les acteurs sur le terrain. Nous vivons une crise sanitaire, et nous avisons par rapport aux situations, aux évolutions de la recherche et surtout par rapport aux personnes concernées. Nous travaillons étroitement aussi avec la direction de la Santé. Si parfois des maisons de retraite se sont fermées vers l’extérieur, c’était justement pour ne pas enfermer les résidents négatifs dans leurs chambres. Lors du premier confinement, la situation était terrible à vivre pour les familles qui n’avaient plus accès aux leurs.
Nous travaillons énormément, notre souci n’est pas l’organisation de conférences de presse. D’ailleurs, lorsqu’on fait des conférences de presse, on nous reproche de trop nous mettre en avant, et quand on n’en fait pas, on nous accuse de ne pas travailler. Moi je vois qu’énormément de choses ont été faites et par le ministère et surtout par les personnels dans les maisons de soins et de retraite. Je pense aussi au stock de médicaments dans les établissements, aux médecins généralistes qui assurent désormais des gardes permanentes, aux équipes mobiles pour les tests et les vaccins, etc.
Vous avez cité la Copas, qui est l’organisation faîtière des établissements de retraite et de soins. Souhaitait-elle l’élaboration d’un tel plan?
Il y avait surtout la demande de ne pas avoir un plan valable pour tous ou des recommandations standard, car on ne peut pas enfermer des gens à Vianden parce qu’il y a des gens contaminés à Differdange.
Que retenez-vous de la façon dont la crise a été gérée dans les maisons de retraite? Aurait-il fallu œuvrer différemment?
Je pense qu’il faut travailler au cas par cas. Les besoins, les désirs des personnes âgées ne sont pas tous les mêmes. Il y en a qui comprennent très bien les gestes barrières, d’autres sont complètement dépendantes ou démentes et ne comprennent pas les gestes barrières, etc. Quand on vit dans une communauté, on est responsable pour soi-même mais aussi pour les autres. Il faut éviter par tous les moyens que le virus ne se propage dans un établissement et éviter d’abord qu’il y entre.
Autre sujet d’actualité qui entre dans vos compétences : la réforme de la loi sur l’intégration. Que souhaiteriez-vous changer?
On travaille effectivement sur une nouvelle loi relative à l’intégration qui doit remplacer celle de 2008 devenue désuète. Le vivre-ensemble a changé depuis au Luxembourg et il faut réviser par exemple la façon dont fonctionnent les commissions d’intégration ou encore le Conseil national pour étrangers, qui lui ne fonctionne pas du tout pour l’instant.
Comment donner au Conseil national pour étrangers la place qui doit lui revenir dans un pays composé pour moitié de non-nationaux?
Il faut redéfinir ses missions et revoir sa composition. La composition d’après les nationalités n’est plus d’actualité et il faut faire remonter les missions du terrain. Je pense particulièrement aux communes, car c’est là que le nouvel arrivant est accueilli en premier lieu. On peut lui remettre les clés de l’intégration en lui indiquant par exemple toutes les activités de son nouveau lieu de résidence, lui donner la liste des clubs sportifs, etc. L’intégration, ça se fait au quotidien, mais ne doiton pas parler plus justement de vivre-ensemble?
Nous travaillons énormément, notre souci n’est pas l’organisation de conférences de presse
Vous dites que le vivre-ensemble a changé depuis 2008. Dans quel sens?
Nous sommes aujourd’hui à presque 50 % de non-Luxembourgeois, la double nationalité a été introduite, nous avons quelque 23 000 nouveaux habitants chaque année, c’est énorme. Nous avons aussi plus de frontaliers, notre attitude vis-à-vis d’eux a changé et j’aimerais clairement que dans cette nouvelle loi nous incluions les frontaliers, qui font partie de notre quotidien. Ils ne viennent pas seulement travailler au Luxembourg, ils viennent aussi pour leurs loisirs, pour leurs achats et autres. Les entreprises sont donc aussi un acteur important dans l’organisation du vivre-ensemble.
«Le vivre-ensemble a changé au Luxembourg et il faut réviser par exemple la façon dont fonctionnent les commissions d’intégration ou encore le Conseil national pour étrangers, qui lui ne fonctionne pas du tout pour l’instant.»
Quel serait selon vous le fonctionnement idéal du Conseil national pour étrangers?
Il faut qu’il soit une émanation des commissions consultatives de l’intégration et qu’il leur vienne en aide pour le vivre-ensemble. Je ne suis pas d’avis qu’il doive aviser les lois, puisqu’elles sont les mêmes pour tout le monde, Luxembourgeois ou pas, fort heureusement. Les syndicats et les chambres professionnelles, qui jusqu’ici sont toujours représentés au sein du CNE, se chargent déjà d’aviser les lois. Je mène une grande discussion sur la future loi sur l’intégration et donc aussi le rôle futur du CNE. Nous avons questionné toutes les communes, associations et autres acteurs pour avoir leur avis sur le vivre-ensemble et sur le besoin d’un cadre légal. Nous avons reçu 70 avis qui sont consultables sur le site internet du ministère. Il y a des groupes de travail qui planchent sur le sujet et nous espérons pouvoir bientôt aller sur le terrain pour discuter avec les gens. Avec la pandémie, ce n’est pas simple actuellement.
Une autre actualité vous place encore sur le devant de la scène. Elle concerne le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne qui a jugé discriminatoire la réforme sur les allocations familiales qui exclut les enfants non biologiques des travailleurs frontaliers. Comment comptez-vous rectifier le tir?
Nous avons analysé cet arrêt et mis sur papier différents scénarios. En ce moment, nous pensons qu’il n’y en a qu’un qui nous permette d’être en règle avec le droit européen. Ce n’est pas simple. Cette solution consisterait à relier l’octroi de l’allocation au travailleur affilié à la sécurité sociale et non plus à l’enfant. Mais je suis ouverte à toute suggestion, nous sommes en pleine discussion et si quelqu’un a une meilleure idée, elle est la bienvenue. Les députés sont encore en train d’étudier les tenants et les aboutissants de ce dossier.
En quoi était-ce compliqué de continuer à verser les allocations aux enfants non biologiques, comme c’était le cas avant la réforme de 2016?
Comment pouvons-nous avoir la preuve que le travailleur subvient à l’entretien de l’enfant qui habite sous son toit mais qui n’a aucun lien de parenté avec lui?
Ni même avec le conjoint parfois. C’est peut être plus facile à vérifier avec nos pays voisins, mais comment fait on pour tous les autres pays? C’est très compliqué. En France, en plus, les enfants peuvent avoir plusieurs adresses différentes.
La ministre à la Grande Région que vous êtes a-t-elle un idéal quant à l’avenir de ce territoire?
Le Luxembourg est le seul pays qui fait partie de la Grande Région. Lorsque les frontières ont été brutalement fermées lors du premier confinement, beaucoup de gens ont réalisé à quel point c’était difficilement vivable. Il ne s’agit pas seulement des travailleurs frontaliers, mais aussi des familles qui étaient séparées de part et d’autre d’une frontière. Mon rêve de Grande Région, c’est de mener encore plus de projets concrets ensemble et de faire en sorte que les citoyens vivent encore mieux dans cette grande région à laquelle ils s’identifient. Nous avons dans notre région des avantages par rapport à d’autres agglomérations, à commencer par quatre pays qui se chevauchent. Cela est notamment intéressant pour les start-up qui se lancent et qui peuvent directement toucher quatre pays différents. Nos importants projets dans notre Grande Région sont, à côté de la pandémie et des questions de santé, l’éducation, le transport, la culture, l’intelligence artificielle ou encore les technologies propres. Nous parlons de projets très concrets.