La politique d’asile au Luxembourg
La politique d’asile au Luxembourg
Entre promesses d’accords de coalition et revendications d’associations
Luxemburger Wort 26 janvier 2019
PAR AGNÈS RAUSCH *
Réagissant à mon attitude plutôt optimiste face à la partie « immigration » de l’accord de coalition 2018-2023, une jeune collègue me fit remarquer qu’il ne s’agissait que de vœux pieux, et qu’il suffisait de regarder la réalité pour m’en rendre compte. Le défi fut ainsi lancé pour confronter l’accord 2013 à la situation actuelle, et celui de 2018 à certaines revendications de la société civile.
Commençons par deux vœux pieux de l’accord 2013: «Le Luxembourg met en place une opportunité réelle au profit des nouveaux résidents de s’inscrire dans une trajectoire commune en même temps que l’immigré s’engage à œuvrer en faveur de cette trajectoire commune et des valeurs du pays hôte» (p. 188); impossible à réaliser des notions si peu définies. Et «la politique d’asile et d’immigration de l’Union devra … être marquée par les principes de solidarité entre Etats membres, d’humanité envers les plus vulnérables.» (p. 195) Alors qu’en réalité les travaux au niveau du Conseil européen en faveur d’une politique d’asile commune sont dans l’impasse, l’accord 2018 continue à prévoir que «sur le plan européen, les efforts pour soutenir de manière proactive le développement du Régime d’Asile Européen Commun (RAEC) seront poursuivis afin d’aboutir à un système cohérent et efficace qui tient compte de la solidarité européenne.» (p. 231) Si l’on se réfère au constat de ce qui se passe actuellement en Méditerranée, les Etats européens donnent plutôt l’image contraire, et il est difficile d’imaginer que le Luxembourg y apportera un changement fondamental.
Point positif: les ONG redoutaient de voir liés coopération au développement et aide aux réfugiés, mais l’objet de cette crainte ne s’est pas vérifié. En effet, « le Luxembourg continuera d’appliquer l’additionnalité des fonds mobilisés … pour l’accueil de réfugiés au Luxembourg. » (p. 213) Par contre, pour motiver les pays d’origine à reprendre leurs citoyens en situation administrative irrégulière au Luxembourg, l’accord de coalition 2018 prévoit la possibilité d’une coopération bilatérale en matière de voies de migration légales, liée à la reprise des irréguliers. (p. 231) Pour ce faire, le Luxembourg dépend de gouvernants qui se soucient rarement de la situation de leurs compatriotes partis à l’étranger.
Alors que la politique européenne n’avance pas ou peu en matière d’asile, le Luxembourg se tourne vers le multilatéralisme, il : « s’engagera pour le renforcement du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), afin que l’UNHCR puisse mieux assurer les services vitaux, face au nombre croissant des réfugiés dans le monde.» (p. 213) Il est quelque peu étonnant que l’accord 2018 ne parle qu’une seule fois des autres partenaires que sont les associations actives dans l’accueil, et de l’intégration des réfugiés. Suffit-il d’écrire que « les dernières années, de nombreuses associations et projets citoyens se sont constitués afin de favoriser l’intégration des réfugiés…» et que « ces projets feront l’objet d’une évaluation afin de pérenniser les meilleurs projets.» (p. 235) ? Encore faudra-t-il en préciser les critères.
Alors que la volonté politique était de hâter les procédures d’asile, qui ne devraient durer en moyenne que six mois, un rapport de la commission parlementaire des affaires étrangères de juin 2018 mentionne que la procédure «normale» s’étend actuellement sur environ sept mois, par rapport à 20 mois il y a deux ans. Ceci a été réalisé grâce à une augmentation des effectifs de la Direction de l’Immigration; le Letzebuerger Flüchtlingsrot (LFR) appelle à une pérennisation et une stabilité de ces effectifs ainsi qu’à leur formation.
L’accord 2013 avait prévu en outre «un nouveau mécanisme d’identification obligatoire … afin d’assurer que les besoins spécifiques des demandeurs d’asile tombant dans la catégorie des personnes vulnérables (personnes malades, femmes seules, femmes avec enfants, mineurs non accompagnés, et autres) soient reconnus et que ces personnes puissent bénéficier d’un soutien adéquat pendant toute la procédure.» (p. 202). La modification légale nécessaire a été réalisée. Par contre, le mécanisme mis en place avec la participation de l’Inspection sanitaire du Ministère de la Santé ne satisfait pas le LFR, qui demande de développer un dispositif indépendant pour la détection des vulnérabilités.
L’hébergement des réfugiés laisse à désirer
Le développement du logement social a été de manière générale un échec du Gouvernement précédent; l’hébergement des réfugiés laisse aussi à désirer: «En coopération avec l’Office luxembourgeois d’accueil et d’intégration (OLAI), le système de prise en charge sera renforcé par la création de places retour dans les foyers pour demandeurs de protection internationale … par l’ouverture d’une maison retour pour les familles (structure ouverte destinée à recueillir les familles à rapatrier.» (p. 203 et 204) Une telle maison n’a pas vu le jour; le LFR continue à s’opposer à la rétention des familles avec enfants et réclame la mise en place de structures de retour. L’accord actuel y répond et écrit qu’«il convient de compléter le dispositif actuel en matière de rétention et de structures semi-ouvertes en tant qu’alternatives à la rétention par des structures mieux adaptées aux besoins et aux situations des différents groupes de personnes concernées.» (p.233) Et pour ce qui est de l’opposition du LFR au logement sous tente des personnes en procédure dite de Dublin, au hall 6 de Luxexpo the Box, le texte de l’accord donne à espérer, car «il est prévu de remplacer la Structure d’hébergement d’urgence Kirchberg, de nature temporaire, par une nouvelle structure semi-ouverte permanente». Une autre revendication des associations est de loger de manière décentralisée dans les communes les réfugiés reconnus, car ils occupent actuellement plus que la moitié des places dans les foyers d’accueil. Malheureusement les coalitionnaires n’ont pas prévu de système coordonné pour le réaliser, alors que l’intégration des personnes concernées en serait grandement facilitée.
Pour ce qui est des cas de plus en plus nombreux de mineurs non-accompagnés demandant l’asile au Luxembourg, les associations demandent une clarification des missions du tuteur (la structure qui héberge et encadre le jeune au quotidien), et de l’administrateur ad hoc (l’avocat qui représente le jeune dans les procédures administratives et juridiques); voilà que l’accord 2019 risque de compliquer encore les choses en écrivant: «La désignation systématique et rapide respectivement d’un tuteur et d’un administrateur ad hoc en même temps que d’un avocat sera mise en place.» (p.231)
Tout aussi importants que l’accueil des nouveaux arrivants, sont les efforts d’intégration. Le programme du gouvernement précédent avait prévu de modifier la loi sur le RMG pour en faire davantage un instrument d’autonomisation. La loi y relative a été changée et l’activité d’insertion pour le deuxième adulte du ménage est désormais possible. Alors que l’accord 2013 prévoyait aussi de porter «une attention particulière aux jeunes de moins de 25 ans», ils continuent à être exclus du bénéfice du REVIS et la grande disparité de leur prise en charge par les offices sociaux continue à exister. Un autre point qui laisse à désirer est le cadre pour faciliter l’hébergement auprès de particuliers, et ce malgré l’insistance des associations sur ce point.
Alors que les demandeurs de protection internationale ont, après quelques mois de procédure, le droit de travailler, les démarches administratives imposées aux employeurs potentiels sont si lourdes que ce droit reste théorique. Le LFR a critiqué ceci à maintes reprises, car la passivité progressive de certains bénéficiaires de la protection internationale trouve son origine dans la durée de la procédure d’asile. Les coalitionnaires semblent l’avoir compris, mais ajoutent un bémol dès la deuxième partie de la phrase: «La procédure en obtention d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) sera simplifiée, après concertation de tous les acteurs concernés, afin de faciliter l’accès au marché de l’emploi des demandeurs de protection internationale, tout en tenant compte de la situation spécifique de ces personnes et en évitant un éventuel détournement de la procédure de protection internationale à des fins d’accès au marché de l’emploi.» Comme s’il n’y avait pas d’autres moyens pour combattre d’éventuels détournements!
Une autre voie très sensible pour réussir une bonne intégration, est celle des enfants réfugiés dans les écoles locales; ceci semble désormais acquis, car on peut lire à la p. 234 de l’accord actuel: «En étroite collaboration avec les communes, il sera veillé à ce que tous les enfants dans la tranche d’âge de scolarisation obligatoire puissent fréquenter leurs cours au sein d’une école régulière et seront intégrés dans les services d’éducation et d’accueil des communes.» Il faut relever que les promesses déjà réalisées dans le domaine de l’intégration scolaire sont la création voire la multiplication des classes francophones et anglophones, ainsi que la scolarisation des jeunes majeurs.
La régularisation des personnes non éloignables
Une dernière revendication du monde associatif est la régularisation des personnes non éloignables, séjournant depuis plusieurs années au Luxembourg. Si une petite ouverture a été faite pour les familles ayant des enfants scolarisés depuis plus de quatre ans au Luxembourg, les conditions pour accéder à un travail autorisé sont difficiles à remplir. L’accord actuel témoigne d’une petite ouverture dans ce domaine: «Le groupe de travail fonctionnant au sein de la Direction de l’Immigration en charge de l’évaluation de la situation des personnes en séjour irrégulier pourra s’associer de représentants de la société civile. Il avisera le ministre quant à une éventuelle décision de régularisation notamment sur base de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.» (p.232)1 Que les associations restent vigilantes et suivent la mise en œuvre de l’accord de coalition 2018-2023; car ce serait dommage de se contenter de vœux pieux.
* L’auteur est membre honoraire du Conseil d’Etat, sur proposition des Verts.
1) Dans des articles ultérieurs, il sera question des voies légales d’immigration et de la mise en œuvre d’une politique de retour inscrites dans l’accord de coalition 2018-2023.