Le Barreau et les asbl mobilisés pour aider les Afghans
Paperjam 23 août 2021
La mobilisation en faveur des Afghans a débuté au Luxembourg. Le Barreau a réuni des spécialistes du droit d’asile en vue d’apporter une aide aux demandeurs de protection internationale afghans, et les asbl actives dans la défense des réfugiés interpellent également le gouvernement.
Jeudi 19 août, une réunion s’est tenue en présence de l’ombudsman – médiateur luxembourgeois – Claudia Monti, du bâtonnier sortant François Kremer et de 10 avocats spécialisés en matière de protection internationale, à la suite de la prise de pouvoir en Afghanistan des talibans quelques jours plus tôt. «L’initiative vient d’un échange que j’ai eu avec Claudia Monti en début de semaine, où nous avons imaginé réunir plusieurs membres du Barreau afin d’initier une discussion par rapport à la situation dramatique dans laquelle sombre l’Afghanistan depuis quelques jours», explique Franck Greff , avocat et président de la commission immigration et protection internationale du Barreau de Luxembourg.
L’objectif est de «mutualiser nos forces en vue d’avoir un discours le plus uniforme possible tant vis-à-vis de la Direction de l’immigration que vis-à-vis des juridictions administratives. Dans ce cadre-là, la commission que je préside a vocation à travailler sur le sujet afin qu’un document soit prochainement émis par le Barreau et à destination de tous nos confrères», ajoute Franck Greff. Un texte de base est déjà en cours de rédaction sur la situation actuelle et factuelle en Afghanistan. Il compilera un maximum d’informations pertinentes à partager pour faciliter le travail des avocats qui défendent les dossiers de demandeurs de protection internationale afghans.
Un signal d’alarme des asbl dès le mois de mai
Maître Greff, spécialisé dans le domaine de la protection internationale et de l’immigration, a lui-même été contacté par une dizaine de ses clients depuis le début de la semaine au vu de la dégradation de la situation en Afghanistan, et à Kaboul en particulier. «Certains ont, par exemple, vu leur dossier de demande de protection internationale refusé par la Direction de l’immigration et ont introduit un recours devant les juridictions administratives. Ils se demandent quelles initiatives nous allons pouvoir prendre.»
L’ambition est donc, notamment, de réévaluer l’ensemble des dossiers au vu de la situation actuelle en Afghanistan. «C’est le grand challenge qui est devant nous actuellement. Les avocats espèrent que les actions qu’ils vont pouvoir mener permettront de trouver une solution favorable à tous les Afghans qui sont actuellement sur le territoire national, tant ceux qui sont en procédure devant la Direction de l’immigration que ceux qui sont en contentieux devant les juridictions administratives, sans oublier les personnes qui ont été déboutées. On va travailler pour tout le monde», ajoute Franck Greff.
Un appel que formulent également de nombreuses asbl du pays actives dans la défense des droits des demandeurs d’asile et réfugiés, dont Passerell. «Le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP) avait annoncé qu’il ne renverrait pas les Afghans dans leur pays, mais la question est de savoir comment régler leur situation administrativement, et nous souhaitons demander au ministère une réévaluation des dossiers au vu de la situation la plus récente», insiste Marion Dubois, chargée de projets au sein de l’asbl. «L’administration justifiait jusqu’à présent les refus de protection internationale au motif que les talibans étaient un groupe privé et que les craintes affichées envers eux étaient purement hypothétiques et ne justifiaient pas l’octroi d’une protection. Mais la situation a totalement changé depuis quelques jours. C’est pour cela que nous demandons une réévaluation des dossiers en cours. On se pose la question également de la prise en charge des familles de personnes qui se trouvent déjà sur notre territoire, et qui sont encore en Afghanistan. Que compte faire le ministère pour ces personnes?»
61% de refus pour les ressortissants afghans
Les organisations Acat, Afghan-Lux Community Outreach, Asti, CLAE, Open Home, Passerell, Time for Equality, Reech eng Hand et RYSE avaient relancé la plateforme «Afghanistan is not safe» en mai dernier. Dans un communiqué de presse, elles s’alarmaient déjà de la situation sécuritaire, qui se «dégrad[ait] dans le contexte du départ des troupes américaines en Afghanistan. La question n’est plus de savoir si les talibans vont prendre le pouvoir, mais comment ils vont le prendre. Aujourd’hui, le territoire afghan est en proie à une coexistence violente entre talibans et armée régulière. Cela prolonge le climat d’insécurité pour les civils, dont les membres de la minorité Hazara, et menace directement l’accès à l’éducation, le droit des femmes et l’espoir d’une paix durable», annonçaient-elles.
«La Cour administrative de Luxembourg avait reconnu en janvier 2018 ‘une violence aveugle eu égard à la situation de conflit armé interne sévissant en Afghanistan’. Fin 2019, alors que l’Afghanistan ne présentait aucune amélioration sécuritaire durable, le ministre en charge de l’Asile a commencé à délivrer de nombreux refus aux demandeurs d’asile afghans. Au point qu’en 2020, les décisions de protection internationale sont à 61% des refus, contre 7% en 2019 et 0% en 2018. Mais le Luxembourg n’est pas une exception; de nombreux pays européens comme l’Allemagne ou la France refusent également de plus en plus l’asile aux Afghans», ajoute Marion Dubois.
Une réponse commune de l’UE est demandée
Et alors que la Cour administrative disait en 2018 que «le simple fait d’être un ressortissant afghan exposait la personne à des traitements inhumains et dégradants, peu importe où elle se trouvait sur le territoire afghan», en 2021, «elle dit que ce n’est plus le cas et que cela dépend de la province d’origine et d’un contrôle ou non par les talibans», précise la chargée de projets de Passerell. «Pour Kaboul, par exemple, la Cour disait que le retour était possible et qu’il n’y avait pas de risque pour la vie des ressortissants, mais, par exemple, pour la province de Ghazni, la décision de la Cour de début juillet disait que le contrôle par les talibans de cette zone justifiait l’octroi d’une protection subsidiaire. Il n’y a pas de liste définie de quelle province permet l’octroi, mais maintenant que les talibans ont conquis tout le territoire, ces décisions sont désormais obsolètes.»
Et si la conséquence migratoire de l’arrivée au pouvoir des talibans semble inévitable, l’asbl ne plaide pour autant pas pour l’octroi systématique d’une protection internationale. «Il faut que cela reste un examen individualisé de la demande, c’est-à-dire que chaque personne qui arrive sur le territoire doit donner les raisons pour lesquelles elle a quitté son pays. Il y a aussi des clauses d’exclusion dans les directives européennes et dans la convention de Genève qui s’appliquent pour certains cas.
Par exemple, si un Afghan a des liens avec les talibans, alors, il est normal qu’il n’ait pas la protection internationale, puisqu’il peut être dangereux et a potentiellement commis des crimes de guerre. Quand on parle d’un citoyen qui n’a pas de lien avec les talibans et qui a reçu par exemple des menaces, alors, l’octroi d’une protection semble justifié. Angela Merkel et Emmanuel Macron ont prôné un accueil modéré et contrôlé, donc je ne pense malheureusement pas qu’on arrivera à une situation où chaque ressortissant afghan bénéficiera d’une protection. Mais ce qui est certain, c’est qu’il faut une réponse coordonnée et cohérente de l’Union européenne, parce qu’on voit actuellement des différences dans l’octroi de la protection qui sont énormes.»