Le Plan contre le racisme retardé: les associations et les personnes concernées s’impatientent

Discriminations

Initialement prévue pour fin 2024 ou au plus tard pour le début de l’année prochaine, la publication du Plan d’action national contre le racisme a été reportée au deuxième semestre 2025.

Les actes militants contribuent à la lutte contre le racisme, mais ne doivent pas être le seul rempart.  © PHOTO: Shutterstock/Illustration

Sa sortie devait constituer une troisième onde de choc au Luxembourg. La première ayant été l’étude «Being Black in Luxembourg» de 2018 et la seconde celle du meurtre de George Floyd en 2020. Mais le Plan d’action national contre le racisme (PAN) semble encore loin d’être achevé.

Contacté par nos soins, le ministère de la Famille, en charge de l’élaboration du PAN, explique que les travaux se poursuivent, «avec une publication prévue pour le deuxième semestre 2025». Une nouvelle qui étonne fortement Madeleine Yougye, l’une des fondatrices de l’association antiraciste One People.

Inscrite sur le listing des associations et entités consultées pour le PAN, l’ASBL ne comprend pas les raisons de ce retard pris, «qui laisse entendre qu’il doit y avoir des désaccords sur certains points». Il faut dire que le Grand-Duché n’est pas en avance sur la thématique, surtout depuis 2018. Cette année-là, la dénomination du PAN d’intégration et de lutte contre les discriminations 2010-2014 a été transformée en PAN d’intégration, omettant purement et simplement l’aspect discriminations.

Et ce n’est pas l’étude «Le racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg» présentée en 2022 par le Liser et le CEFIS qui a relancé l’urgence de l’élaboration d’un PAN, mais bien le lobbysme de l’association féministe et antiraciste Lëtz Rise Up au sein des instances européennes à Bruxelles en 2023.

L’espoir persistant d’un guichet unique avec compétence pour intervenir

Reste que l’étude sert de structure pour le futur PAN contre le racisme, puisqu’elle a permis de mettre en relief trois domaines d’action prioritaires: l’éducation, le logement et l’emploi. Mais jusqu’ici, il n’est toujours pas possible d’affirmer si un guichet unique verra le jour pour tout ce qui relève des discriminations.

L’une des solutions envisageables pourrait également être que le Centre d’égalité de traitement dispose à l’avenir de la compétence pour intervenir lors de plaintes, d’une façon similaire à l’Okaju pour ce qui concerne les droits de l’enfant.

Actuellement, lorsqu’une personne porte plainte, c’est auprès des associations qu’elle trouve le plus souvent conseils et soutien. Madeleine Yougye a justement assisté une personne ayant porté plainte contre son ancien employeur. Au cœur de cette plainte, un licenciement intervenu en 2022, après avoir dénoncé des processus d’évaluation et de promotion interne jugés discriminants. Si le délibéré n’est pas encore connu, ce qui est déjà certain, c’est que le processus a été long et éprouvant sur le plan psychique, pour une issue incertaine.

Les mesures autour de l’éducation très attendues

Un processus qu’a bien connu Antónia Ganeto. Celle qui est devenue conseillère en éducation interculturelle et antiraciste – et plus récemment encore vice-présidente pour la Commission consultative des droits de l’homme –, a d’abord été une militante très impliquée dans la lutte contre le racisme.

C’est sous ce statut qu’elle a porté plainte contre un sexagénaire de Schuttrange, pour incitation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes en raison du sexe et de l’origine. Tout est parti d’un post Facebook virulent en mars 2020. La justice lui donnera raison en janvier 2021, en le reconnaissant comme raciste et en condamnant l’homme à une amende de 1.500 euros.

Cela a été dévastateur pour moi, d’aller à la barre, de témoigner, de me défendre, même en sachant que j’étais dans mon droit. Quand vous êtes militant, votre investissement est total pour la cause que vous défendez, jusqu’à l’épuisement psychique dans la majeure partie des cas.

Antónia Ganeto

Une victoire, mais une victoire en demi-teinte pour Antónia Ganeto. «Cela a été dévastateur pour moi, d’aller à la barre, de témoigner, de me défendre, même en sachant que j’étais dans mon droit. Quand vous êtes militant, votre investissement est total pour la cause que vous défendez, jusqu’à l’épuisement psychique dans la majeure partie des cas. J’ai assumé que l’affaire soit relayée par la presse, je voulais que mon cas serve d’exemple. Mais une fois tout terminé, j’ai fait un pas de côté, j’ai voulu continuer à défendre cette cause, mais autrement.»

Son choix s’est porté sur l’éducation, l’un des piliers qui pourrait selon elle permettre de déconstruire le racisme structurel. Un avis largement partagé par l’artiste luxembourgeoise Chantal Maquet. Petite fille de colons ayant vécus au Congo, l’artiste peintre a œuvré pour la déconstruction du colonialisme et du racisme, avec pour point de départ son expérience familiale.

Elle a auto-édité un roman graphique grand public en 2023, dans lequel elle partage ses interrogations avec des experts luxembourgeois de la thématique. «Je suis une personne optimiste, je ne dirai jamais que rien ne se passe. Mais cela prend beaucoup plus de temps pour faire bouger les choses au Luxembourg sur la question du racisme. Je conçois donc totalement que ça puisse être démotivant pour certains.»

Un devoir de mémoire pour le Luxembourg

À ses yeux, le PAN témoigne d’une certaine manière d’un «devoir de mémoire, car le racisme fait partie de l’histoire du Luxembourg, qui a un passé colonial au même titre que les Belges».

«J’ai pour ma part dit tout ce qu’il y avait à dire sur mon histoire personnelle et je ne comprends pas que d’autres cachent la leur. Il m’est arrivé de rencontrer des gens au Luxembourg qui m’ont parlé de leur passé colonial familial et pour qui ce n’était même pas tabou, mais plutôt quelque chose d’anecdotique, une étrangeté dont on fait peu cas. Pour eux, c’était normal…»

Il m’est arrivé de rencontrer des gens au Luxembourg qui m’ont parlé de leur passé colonial familial et pour qui ce n’était même pas tabou. […] Pour eux, c’était normal…

Chantal Maquet

Face à cela, le Black History Month, qui a lieu en octobre, semble être une réponse adéquate à faire perdurer pour faire bouger les mentalités. Pourtant, cette année, au contraire de l’année 2023, l’ASBL One people explique avoir organisé le programme des événements avec moins de moyens financiers de la part du gouvernement.

«Nous espérons que la sortie du PAN apportera des améliorations concrètes et enverra un message clair et constructif à l’ensemble des acteurs sociaux et contributeurs. Nous savons que tout ne sera pas parfait, mais nous espérons une augmentation significative des moyens. Nous tenons d’ailleurs à remercier les partenaires qui nous ont soutenus ainsi que tous les intervenants venus d’Allemagne, de France, de Belgique, d’Angleterre et de Suède, qui, par leur engagement, ont contribué à la réussite de cette initiative au Luxembourg, sans percevoir de compensation.»

Car le fait est qu’un financement induit une idée de reconnaissance plus qu’appréciable au cœur d’un climat planétaire agité sur les questions raciales. D’autant plus, comme le souligne Antónia Ganeto, que la lutte contre le racisme mérite un PAN au même titre que l’antisémitisme ou les problématiques LGBTI, qui ont le leur. «C’est une question d’équité, pour tout le monde.»