Nous ne faisons rien
Immigration : des sujets qui s’imposent
Le Quotidien 27 septembre 2023
En amont des élections législatives, l’ASTI a publié ses revendications à destination des partis. Des propositions pas toujours entendues.
Les élections nationales constituent pour l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Le 12 septembre, l’ASBL publiait un communiqué reprenant dix revendications à destination des partis politiques luxembourgeois en vue de l’échéance électorale du 8 octobre. Retour sur cette liste avec le porte-parole de l’ASTI, Sergio Ferreira.
Comment avez-vous élaboré cette liste de revendications?
Sergio Ferreira : Nous avons commencé à y travailler début 2022. Nous avons étudié séparément des revendications pour les élections communales et d’autres pour les élections législatives. Nous avons, à chaque fois, repris à peu près la même logique avec trois grands sujets : l’immigration, l’asile et le vivre-ensemble. Ce processus pour les législatives s’est terminé en octobre 2022. Nous avons ensuite contacté les partis politiques pour fixer des rendez-vous afin de leur présenter de vive voix ces revendications. Ce qui a été fait au cours de l’année 2023 jusqu’au mois de juillet, où nous avons alors rencontré les sept partis qui sont représentés à la Chambre.
Quelles ont été les réactions des partis politiques quand vous les avez rencontrés?
Les partis politiques étaient plus ou moins d’accord avec nos propositions. Ce qui est clair et net, c’est que peu de ces sujets se retrouvent dans leurs programmes. Ils sont comme accessoires par rapport à d’autres. Ce qui est regrettable, sachant qu’on vit dans un pays qui a quand même 50 % de sa population qui n’a pas la nationalité luxembourgeoise. Sachant aussi qu’il y a 200 000, voire 250 000, travailleurs frontaliers qui viennent tous les jours de France, d’Allemagne, de Belgique. Ce n’est même pas un sujet, alors que ça devrait l’être. Nous savons que l’évolution de la situation, à laquelle on assiste au niveau européen, fera que ces sujets viendront forcément sur la table.
Comment expliquer ce désintérêt des politiques face à une situation qui va forcément s’imposer à eux?
Les questions de l’immigration ne sont pas des questions qui attirent des voix. C’est aussi simple que ça. Pourtant, les questions du vivre-ensemble nous concernent tous. Les questions de cohésion sociale nous concernent tous. Prenons l’exemple du logement. Le sujet est dans la bouche de tout le monde depuis cinq ans. Avant, ce n’était même pas un sujet. Pourquoi? Parce que ça n’affectait pas l’électeur. Les migrants étaient les seules personnes qui étaient impactées par la question du logement. On n’a pas bougé pendant 40 ans et, aujourd’hui, on est devant une situation complexe. Si elle avait été prise en compte avant, même si elle n’affectait qu’une couche, une population qui n’est pas électrice, on aurait peut-être moins de problèmes de nos jours.
Le vote des résidents étrangers aurait-il pu peser dans la balance?
Le logement est un exemple clair illustrant le fait que ne pas avoir le droit de vote a fait que les politiques n’ont pas pris en compte une problématique. Aujourd’hui, nous sommes devant une situation qui est presque impossible à résoudre. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous attirons l’attention encore une fois sur le vote des résidents. Malgré les résultats du référendum de 2015. Parce que le problème reste là. C’est un exemple parfait de l’importance de prendre en considération tous les aspects qui ont à voir avec la vie du pays.
N’est-ce pas décourageant pour l’ASTI de voir que les politiques font la sourde oreille?
Ce n’est pas décourageant dans le sens où, malgré tout, on arrive à réaliser des avancées. Les choses bougent, même si elles ne changent pas autant et aussi vite qu’on le souhaiterait. L’ASTI continuera à faire des projets de terrain, à faire des propositions et à montrer au niveau politique les propositions que nous recueillons du terrain. Nos activités de terrain nous permettent de comprendre où sont les problèmes.
C’est pour ça, par exemple, que pour le bénévolat, nous demandons que le congé bénévolat soit élargi. Aujourd’hui, il est possible au niveau du sport, au niveau des domaines culturel et politique, et c’est très bien. Mais il faudra l’élargir et permettre aussi aux associations, comme l’ASTI et comme d’autres, que leurs bénévoles puissent avoir droit à ce congé. Il y a énormément d’énergie et de gens qui veulent s’engager. Si on leur facilite un tout petit peu la tâche, les bénévoles viennent d’une façon beaucoup plus simple et beaucoup plus facile.
Le grand thème que vous avez mis en avant dans ces revendications, c’est la régularisation des personnes en situation irrégulière. Pour quelles raisons?
Il y a d’abord la question de la dignité de la personne. Deuxièmement, c’est une situation qui n’est favorable pour personne. Et si on régularise la personne, c’est une win win win situation. La personne y gagne, car elle a des droits, elle peut les faire valoir et être plus protégée qu’elle ne l’est actuellement. L’État y gagne, parce qu’il obtient des contributions pour la sécurité sociale et les impôts. Le milieu économique y gagne aussi. Quelqu’un qui fait travailler une personne qui est en situation irrégulière ne paye pas de cotisations, de charges patronales… Il y a une concurrence faussée. Au niveau d’une concurrence plus loyale, l’économie gagne. En résumé, personne n’y perd.
Comment expliquez-vous les craintes à l’égard de la migration?
Aujourd’hui, le domaine de la migration, c’est un domaine dans lequel on travaille avec des intuitions, des émotions, des mythes… Il faut travailler avec des faits. Dans tous les domaines de la vie politique, que ce soit dans l’agriculture, dans l’économie, dans l’environnement, dans l’éducation, on se base sur les recherches scientifiques, sur des faits validés par la science. Or toute la recherche dit une chose : les conditions d’accueil ne jouent pas dans le choix du départ d’une personne, ce qui joue, ce sont les conditions de départ. Un Brésilien ne vient pas au Luxembourg car il y a plus de richesses ici qu’ailleurs. Il vient parce que, d’une part, au Brésil, ça se passe mal et, d’autre part, parce qu’il a un réseau ici. Ce n’est pas par hasard si on a 120 000 Portugais au Grand-Duché. Les gens choisissent d’aller là où il y a des amis, de la famille…
Il y aura toujours du mouvement vers le Luxembourg. L’appel d’air, il faut arrêter de l’utiliser, c’est un mythe, ça serait la même chose que de faire de la politique scientifique en disant que la terre est plate.
Comment aider les personnes à quitter les structures d’accueil et à s’intégrer dans la société luxembourgeoise?
Le Luxembourg se plaint que les structures d’accueil sont pleines, occupées notamment par les personnes qui ont déjà un statut. Pourquoi? Car nous ne faisons rien pour qu’elles s’intègrent. C’est absurde de ne pas permettre à une personne qui arrive au Luxembourg de travailler tout de suite alors qu’elle a fait une demande de protection internationale. Pourquoi doit-on attendre six mois? Et ce n’est pas encore un droit automatique, une autorisation d’occupation temporaire doit encore être demandée. Certes, on vient d’éliminer le test du marché du travail, mais il y a toujours deux ministères qui doivent se prononcer pour une demande. C’est absurde. Si on permettait aux gens, dès la demande de protection internationale, de travailler, ils s’autonomiseraient beaucoup plus tôt et ils seraient à même de marcher par eux-mêmes et de sortir des structures d’accueil. On se plaint, mais on ne fait rien pour l’éviter. Cette logique règne aujourd’hui dans les questions d’asile et d’immigration en Europe et au Luxembourg. C’est indigne, absurde et contre-productif. La question de l’accès au marché du travail est fondamentale.
Les questions de l’immigration ne sont pas des questions qui attirent des voix
L’immigration en chiffres
313 407
C’est le nombre de personnes étrangères vivant au Grand-Duché au 1er janvier 2023. Les ressortissants des États membres de l’Union européenne (UE) représentent à eux seuls 78,4 % de la population étrangère au Luxembourg (-2,4 points de pour cent par rapport à 2022). En 1981, les ressortissants des 27 États membres actuels représentaient même 91,5 % de la population étrangère.
29,4 %
C’est la part de Portugais dans la population étrangère résidant au Luxembourg. C’est la nationalité la plus représentée au Grand-Duché, elle est suivie par la France (15,7 %), l’Italie (7,9 %), la Belgique (6,1 %) et l’Allemagne (4 %). Après les ressortissants de l’Union européenne viennent les ressortissants d’Asie, qui représentent 6,4 % de la population étrangère au Grand-Duché. Les ressortissants des continents africain et américain occupent respectivement la quatrième (5 %) et la cinquième (2,6 %) place parmi les groupes d’étrangers les plus représentés au Luxembourg.
5 238
C’est le nombre d’Ukrainiens sur le territoire luxembourgeois au 1er janvier 2023. Leur part, restée stable de 2011 à 2014, n’avait connu qu’une légère hausse en 2015, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie. En revanche, depuis la guerre en Ukraine, le Luxembourg a noté une augmentation de 387 % des ressortissants ukrainiens sur son territoire.
Immigration : des sujets qui s’imposent
Les élections nationales constituent pour l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) l’aboutissement d’un travail de longue haleine. Le 12 septembre, l’ASBL publiait un communiqué reprenant dix revendications à destination des partis politiques luxembourgeois en vue de l’échéance électorale du 8 octobre. Retour sur cette liste avec le porte-parole de l’ASTI, Sergio Ferreira.
Comment avez-vous élaboré cette liste de revendications?
Sergio Ferreira : Nous avons commencé à y travailler début 2022. Nous avons étudié séparément des revendications pour les élections communales et d’autres pour les élections législatives. Nous avons, à chaque fois, repris à peu près la même logique avec trois grands sujets : l’immigration, l’asile et le vivre-ensemble. Ce processus pour les législatives s’est terminé en octobre 2022. Nous avons ensuite contacté les partis politiques pour fixer des rendez-vous afin de leur présenter de vive voix ces revendications. Ce qui a été fait au cours de l’année 2023 jusqu’au mois de juillet, où nous avons alors rencontré les sept partis qui sont représentés à la Chambre.
Quelles ont été les réactions des partis politiques quand vous les avez rencontrés?
Les partis politiques étaient plus ou moins d’accord avec nos propositions. Ce qui est clair et net, c’est que peu de ces sujets se retrouvent dans leurs programmes. Ils sont comme accessoires par rapport à d’autres. Ce qui est regrettable, sachant qu’on vit dans un pays qui a quand même 50 % de sa population qui n’a pas la nationalité luxembourgeoise. Sachant aussi qu’il y a 200 000, voire 250 000, travailleurs frontaliers qui viennent tous les jours de France, d’Allemagne, de Belgique. Ce n’est même pas un sujet, alors que ça devrait l’être. Nous savons que l’évolution de la situation, à laquelle on assiste au niveau européen, fera que ces sujets viendront forcément sur la table.
Comment expliquer ce désintérêt des politiques face à une situation qui va forcément s’imposer à eux?
Les questions de l’immigration ne sont pas des questions qui attirent des voix. C’est aussi simple que ça. Pourtant, les questions du vivre-ensemble nous concernent tous. Les questions de cohésion sociale nous concernent tous. Prenons l’exemple du logement. Le sujet est dans la bouche de tout le monde depuis cinq ans. Avant, ce n’était même pas un sujet. Pourquoi? Parce que ça n’affectait pas l’électeur. Les migrants étaient les seules personnes qui étaient impactées par la question du logement. On n’a pas bougé pendant 40 ans et, aujourd’hui, on est devant une situation complexe. Si elle avait été prise en compte avant, même si elle n’affectait qu’une couche, une population qui n’est pas électrice, on aurait peut-être moins de problèmes de nos jours.
Le vote des résidents étrangers aurait-il pu peser dans la balance?
Le logement est un exemple clair illustrant le fait que ne pas avoir le droit de vote a fait que les politiques n’ont pas pris en compte une problématique. Aujourd’hui, nous sommes devant une situation qui est presque impossible à résoudre. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous attirons l’attention encore une fois sur le vote des résidents. Malgré les résultats du référendum de 2015. Parce que le problème reste là. C’est un exemple parfait de l’importance de prendre en considération tous les aspects qui ont à voir avec la vie du pays.
N’est-ce pas décourageant pour l’ASTI de voir que les politiques font la sourde oreille?
Ce n’est pas décourageant dans le sens où, malgré tout, on arrive à réaliser des avancées. Les choses bougent, même si elles ne changent pas autant et aussi vite qu’on le souhaiterait. L’ASTI continuera à faire des projets de terrain, à faire des propositions et à montrer au niveau politique les propositions que nous recueillons du terrain. Nos activités de terrain nous permettent de comprendre où sont les problèmes.
C’est pour ça, par exemple, que pour le bénévolat, nous demandons que le congé bénévolat soit élargi. Aujourd’hui, il est possible au niveau du sport, au niveau des domaines culturel et politique, et c’est très bien. Mais il faudra l’élargir et permettre aussi aux associations, comme l’ASTI et comme d’autres, que leurs bénévoles puissent avoir droit à ce congé. Il y a énormément d’énergie et de gens qui veulent s’engager. Si on leur facilite un tout petit peu la tâche, les bénévoles viennent d’une façon beaucoup plus simple et beaucoup plus facile.
Le grand thème que vous avez mis en avant dans ces revendications, c’est la régularisation des personnes en situation irrégulière. Pour quelles raisons?
Il y a d’abord la question de la dignité de la personne. Deuxièmement, c’est une situation qui n’est favorable pour personne. Et si on régularise la personne, c’est une win win win situation. La personne y gagne, car elle a des droits, elle peut les faire valoir et être plus protégée qu’elle ne l’est actuellement. L’État y gagne, parce qu’il obtient des contributions pour la sécurité sociale et les impôts. Le milieu économique y gagne aussi. Quelqu’un qui fait travailler une personne qui est en situation irrégulière ne paye pas de cotisations, de charges patronales… Il y a une concurrence faussée. Au niveau d’une concurrence plus loyale, l’économie gagne. En résumé, personne n’y perd.
Comment expliquez-vous les craintes à l’égard de la migration?
Aujourd’hui, le domaine de la migration, c’est un domaine dans lequel on travaille avec des intuitions, des émotions, des mythes… Il faut travailler avec des faits. Dans tous les domaines de la vie politique, que ce soit dans l’agriculture, dans l’économie, dans l’environnement, dans l’éducation, on se base sur les recherches scientifiques, sur des faits validés par la science. Or toute la recherche dit une chose : les conditions d’accueil ne jouent pas dans le choix du départ d’une personne, ce qui joue, ce sont les conditions de départ. Un Brésilien ne vient pas au Luxembourg car il y a plus de richesses ici qu’ailleurs. Il vient parce que, d’une part, au Brésil, ça se passe mal et, d’autre part, parce qu’il a un réseau ici. Ce n’est pas par hasard si on a 120 000 Portugais au Grand-Duché. Les gens choisissent d’aller là où il y a des amis, de la famille…
Il y aura toujours du mouvement vers le Luxembourg. L’appel d’air, il faut arrêter de l’utiliser, c’est un mythe, ça serait la même chose que de faire de la politique scientifique en disant que la terre est plate.
Comment aider les personnes à quitter les structures d’accueil et à s’intégrer dans la société luxembourgeoise?
Le Luxembourg se plaint que les structures d’accueil sont pleines, occupées notamment par les personnes qui ont déjà un statut. Pourquoi? Car nous ne faisons rien pour qu’elles s’intègrent. C’est absurde de ne pas permettre à une personne qui arrive au Luxembourg de travailler tout de suite alors qu’elle a fait une demande de protection internationale. Pourquoi doit-on attendre six mois? Et ce n’est pas encore un droit automatique, une autorisation d’occupation temporaire doit encore être demandée. Certes, on vient d’éliminer le test du marché du travail, mais il y a toujours deux ministères qui doivent se prononcer pour une demande. C’est absurde. Si on permettait aux gens, dès la demande de protection internationale, de travailler, ils s’autonomiseraient beaucoup plus tôt et ils seraient à même de marcher par eux-mêmes et de sortir des structures d’accueil. On se plaint, mais on ne fait rien pour l’éviter. Cette logique règne aujourd’hui dans les questions d’asile et d’immigration en Europe et au Luxembourg. C’est indigne, absurde et contre-productif. La question de l’accès au marché du travail est fondamentale.
Les questions de l’immigration ne sont pas des questions qui attirent des voix
L’immigration en chiffres
313 407
C’est le nombre de personnes étrangères vivant au Grand-Duché au 1er janvier 2023. Les ressortissants des États membres de l’Union européenne (UE) représentent à eux seuls 78,4 % de la population étrangère au Luxembourg (-2,4 points de pour cent par rapport à 2022). En 1981, les ressortissants des 27 États membres actuels représentaient même 91,5 % de la population étrangère.
29,4 %
C’est la part de Portugais dans la population étrangère résidant au Luxembourg. C’est la nationalité la plus représentée au Grand-Duché, elle est suivie par la France (15,7 %), l’Italie (7,9 %), la Belgique (6,1 %) et l’Allemagne (4 %). Après les ressortissants de l’Union européenne viennent les ressortissants d’Asie, qui représentent 6,4 % de la population étrangère au Grand-Duché. Les ressortissants des continents africain et américain occupent respectivement la quatrième (5 %) et la cinquième (2,6 %) place parmi les groupes d’étrangers les plus représentés au Luxembourg.
5 238
C’est le nombre d’Ukrainiens sur le territoire luxembourgeois au 1er janvier 2023. Leur part, restée stable de 2011 à 2014, n’avait connu qu’une légère hausse en 2015, à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie. En revanche, depuis la guerre en Ukraine, le Luxembourg a noté une augmentation de 387 % des ressortissants ukrainiens sur son territoire.