Lors d’une conférence de presse le 18 décembre (Journée internationale des migrations) l’ASTI a présenté son analyse de l’accord de coalition DP-LSAP-Gréng pour en venir – selon le Quotidien du 19.12.2018 que “L’intégration est marginale” ou selon le Luxemburger Wort du même jour “Wir hatten mehr erwartet”.:
Voici le communiqué de l’ASTI:
Un accord de Gouvernement peu ambitieux sur le « vivre ensemble »
En amont des élections législatives, l’ASTI – seule ou à travers le Collectif réfugiés – avait fait part aux partis politiques de ses réflexions et propositions qu’elle jugeait incontournables pour donner une assise durable à la cohésion de notre pays. Après les élections, nous les avons à nouveau communiquées au formateur et aux négociateurs.
Nous nous réjouissons d’en trouver quelques-unes dans l’accord. Par-delà, on doit cependant constater que les questions d’intégration sont tout au plus d’un intérêt marginal dans cet accord où les idées nouvelles pour améliorer le vivre ensemble et la participation des non-Luxembourgeois aux décisions qui touchent le pays, brillent par leur absence.
Bien que l’accord de coalition reconnaisse dès le préambule l’existence d’un déficit démocratique , l’accord ne prévoit rien de concret. Une « révision globale de la loi électorale » est proposée et il est affirmé que « Les moyens tendant à améliorer la participation des citoyens étrangers aux élections locales seront étudiés».
C’est peu, très peu, quand nous savons, par exemple, que les dérogations obtenues par le Luxembourg lors de la négociation du traité de Maastricht sont des réelles entraves à cette participation et que des promesses beaucoup plus ambitieuses avaient été faites, et parfois respectées, par les partis au pouvoir. Ce qui serait ambitieux, ce serait d’annoncer clairement que ces dérogations seront abolies. Ce qui serait équitable, ce serait de permettre à tous – Luxembourgeois et non-Luxembourgeois – de participer aux mêmes conditions aux élections locales, conformément à la lettre des traités européens. Et ce qui sera durable, ce serait de proposer l’inscription d’office sur les listes électorales qui constituerait une vraie avancée en cette matière.
L’ASTI avait avancé toute une panoplie de propositions en vue d’une plus grande participation politique des non-Luxembourgeois, mais les partis de l’actuelle coalition semblent vouloir passer cette question sous silence. Paradoxalement, ce gouvernement qui se veut réformateur pourrait se révéler être moins ambitieux en la matière que le dernier gouvernement conservateur, qui a ouvert, en 2011, la possibilité aux ressortissants des pays tiers d’être élus bourgmestres ou échevins.
La tête de liste du CSV aux législatives semble mieux avoir saisi l’enjeu, en affirmant, lors d’une réunion récente que «Si les étrangers auraient été le dimanche aux urnes, nous aurions gagné ! ».
L’accord fait également silence sur la lutte contre les discriminations, le racisme et la xénophobie, sauf que … « Les compétences en matière d’anti-discrimination des différents acteurs seront revues. ». L’ASTI avait à plusieurs reprises préconisé la création d’un observatoire des phénomènes racistes, xénophobes et antisémites. Nous vivons dans un pays d’immigration dont la moitié de la population n’a pas la nationalité luxembourgeoise, dont 48% des salariés sont des frontaliers, où il y a eu les actes racistes perpétrés pendant la campagne électorale à l’encontre de certains candidats « différents ». Ne pas agir concrètement contre ce phénomène, c’est pratiquer la politique de l’autruche.
Aujourd’hui nous sommes plus de 600.000 (313.771 Luxembourgeois et 288.234 non-Luxembourgeois, au 1er janvier 2018) à vivre dans notre pays. A dormir plutôt. Parce que pendant la journée nous sommes 786.605 à travailler, à faire nos achats, à aller au restaurant et nous impatienter dans les embouteillages, 40% de Luxembourgeois et 60% de non-Luxembourgeois. C’est sur la base de ces chiffres qu’il faut réfléchir et agir. Seul un projet de société qui va au-delà de l’assurance de trouver un emploi parviendra à tenir ensemble tout ce monde. On serait donc en droit de s’attendre à une politique « ambitieuse, équitable et durable » en matière d’intégration. Et l’on tombe sur du rafistolage : la réforme de la loi de 2008, le renforcement des relations avec les communes – notamment via le soutien à travers des chargés à l’intégration -, la participation de la société civile aux travaux du Comité interministériel à l’intégration, la réforme et valorisation du Conseil national pour étrangers ou la décentralisation régionale du Contrat d’accueil et d’intégration. Ce sont des annonces certes positives mais aucunement susceptibles de maîtriser l’avenir.
Affirmer dès le préambule de l’accord que « L’intégration et l’inclusion socio-culturelle seront au cœur de l’action gouvernementale. » reste un vœu pieux si on n’indique pas plus clairement ses visions en la matière. Une seule page (!) consacrée à l’intégration sur les 235 pages de l’accord donne à penser que le cœur n’y est pas ou alors qu’on n’a pas d’idées.
Pourquoi, si l’on manque d’idées, ne pas mobiliser tous les acteurs du terrain ainsi que la population (Luxembourgeois et non-Luxembourgeois) dans la discussion autour de la réforme de loi de l’intégration de 2008? Pourquoi ne pas organiser un « Zesummenliewensdësch » à l’image de ce qui est proposé pour l’éducation ? Ceci aurait aussi l’avantage d’y associer les nombreux frontaliers.
Dans le chapitre sur l’éducation, le Gouvernement annonce « Un projet-pilote de « parents de quartier » (« Stadtteileltern ») des multiplicateurs qui informeront les familles non-Luxembourgeoises dont les enfants ne sont pas inscrits à une crèche ou au précoce. »
L’idée, qui n’est pas mauvaise en soi, a un arrière-goût de paternalisme. Y aurait-il seulement un besoin au sein des familles « issues de l’immigration » dont les enfants ne sont pas inscrits dans ces structures ? Les familles des enfants Luxembourgeois dans la même situation n’en auraient-elles pas besoin, ou alors, l’école luxembourgeoise reste-t-elle entièrement conçue pour des enfants de parents luxembourgeois ? Alors que les enfants de parents portugais représentaient en 1996 seulement 6,1% des enfants de 7e de l’enseignement secondaire classique, ils représentent 6,9% en 2016. Quel progrès !
Toujours sous ce chapitre, la partie consacrée à la promotion de langue luxembourgeoise n’évoque aucune intention de renforcer l’offre de cours de langue luxembourgeoise, ni de soutenir et de structurer des activités de pratique langagière, besoin très présent sur le terrain.
En matière d’Immigration et d’asile, l’accord de coalition est plutôt positif. Ici, au moins, une vision s’affiche : « L’immigration doit continuer à servir les intérêts économiques nationaux », ce qui a le mérite d’être clair, mais très réducteur.
L’élargissement des voies légales d’immigration, par exemple, via le regroupement familial des familles de réfugiés reconnus est salué, de même que l’intention de créer une vraie politique de retours agrémentée de plus d’information et d’accompagnement.
Notons que le texte de l’accord concernant l’asile, reprend beaucoup des propositions du Collectif Réfugiés. L’accès au marché du travail, l’encadrement des mineurs non-accompagnés ou les alternatives à la rétention en sont des exemples. L’ASTI étant membre de cette plateforme ne peut que s’en réjouir.
Le Gouvernement semble vouloir changer radicalement la répartition des compétences des ministères en matière d’intégration et d’asile. Le Ministère de l’Immigration, qui est déjà responsable du traitement et de l’examen des demandes, aurait dorénavant aussi la responsabilité de l’accueil et de l’encadrement des demandeurs de protection internationale. En principe cette nouvelle distribution des rôles semble une bonne idée. Encore faut-il avoir toutes les garanties que l’évolution des conditions d’accueil n’interfère pas dans la procédure de demande de protection internationale et vice-versa. L’ASTI et le Collectif réfugiés resteront très vigilants, d’autant plus que – au contraire de ce qu’affirme la ministre de l’Intégration – ce changement n’a pas été demandé par les associations de terrain, du moins par celles du LFR.
Les travailleurs frontaliers sont les grands oubliés de l’accord de coalition. Au delà des questions de mobilité et de droit du travail, rien n’est proposé à celles et ceux qui représentent 48% de la force de travail du pays. Or, pour l’ASTI, il est important de stimuler leur sentiment d’appartenance à la société luxembourgeoise et de les associer aux réflexions sur l’avenir du pays.
Finalement, un mot sur le dernier paragraphe de l’accord : « Les dernières années, de nombreuses associations et projets citoyens se sont constitués afin de favoriser l’intégration des réfugiés. Ces apports extrêmement importants de la société civile méritent d’être soutenus. Ces projets feront l’objet d’une évaluation afin de pérenniser les meilleurs projets». De la part d’un Gouvernement, qui pendant la législature précédente n’a pas été capable d’évaluer sa politique en matière d’intégration, tel que le prévoit la loi, la ficelle paraît assez grosse. En cet instant même, le financement par l’œuvre Grande Duchesse Charlotte des projets entrepris par la société civile ces dernières années en vue de l’intégration des réfugiés, se termine sans que l’évaluation n’ait eu lieu et que le relais n’ait été assuré par l’État, obligeant les associations à licencier du personnel de ces projets, malgré leurs compétences et les succès enregistrés.
Pour ce qui est de l’ASTI, nous restons toujours disponibles pour participer à des échanges et processus ouverts et constructifs, tout en restant attentifs aux pas du Gouvernement.
Le budget de l’État pour 2019 qui devra être voté assez rapidement, sera l’occasion de voir comment l’ambition, l’équité et la durabilité du programme de ce Gouvernement s’affichent dans le concret !
ASTI asbl