«Platzverweis» renforcé : la CCDH s’offusque à son tour

David Marques, Le Quotidien 17 avril 2025
Aux yeux de la CCDH, présidée par Noémie Sadler, un sentiment d’insécurité, «souvent purement subjectif», ne peut pas justifier des «mesures répressives et une restriction des droits humains». (Photo : claude lenert)

Le pouvoir qui doit être accordé à la police et aux bourgmestres de décréter des injonctions d’éloignement de fauteurs de trouble risquerait de mener à des «décisions arbitraires et discriminatoires».

La Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) se joint aux critiques acerbes déjà émises par le Conseil d’État, les autorités judiciaires et la Chambre des salariés (CSL) au sujet du projet de loi sur le renforcement du Platzverweis. Le texte déposé par le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, prévoit que cette injonction d’éloignement doit non seulement viser les personnes qui bloquent l’accès à un bâtiment, mais aussi celles qui se comportent de manière à troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques, entravent la circulation sur la voie publique ou se comportent de manière à importuner des passants.

Il est prévu d’octroyer plus de pouvoirs tant aux policiers qu’aux bourgmestres pour décréter des interdictions temporaires de lieu (48 heures, rayon d’un kilomètre) ou, en cas de récidive, une interdiction de territoire (30 jours).

La CCDH constate avec inquiétude que le Platzverweis renforcé s’inscrit dans «un contexte de croissance du nombre de mesures répressives (…), notamment la pénalisation disproportionnée de la mendicité agressive, l’encadrement de la liberté de manifestation ou encore l’extension de la vidéosurveillance des lieux publics (…)». Au vu de dispositions «beaucoup trop vagues» inscrites dans le projet de loi, la CCDH voit le risque que police et bourgmestres procèdent à des «décisions arbitraires et discriminatoires».

«Déranger autrui n’est pas suffisant»

L’avis renvoie notamment vers les motifs qui peuvent mener à une injonction d’éloignement. La CCDH souligne qu’en «l’absence d’éléments objectifs, un sentiment de (in)sécurité, souvent purement subjectif, ne devrait pas être le moteur qui induise des mesures répressives et une restriction des droits humains». De plus, les comportements visés devraient être suffisamment graves pour faire l’objet d’un Platzverweis. «Le simple fait qu’ils puissent gêner, offenser, choquer ou déranger autrui ne suffit pas pour donner lieu à une restriction à la liberté de circulation», souligne la CCDH. Elle renvoie vers le Platzverweis appliqué en Allemagne, qui se limite à la «seule prévention d’un danger ou de commissions d’infractions pénales».

La CCDH voit aussi d’un œil critique l’usage de la force, le rayon d’un kilomètre où s’applique l’éloignement, la durée de 48 heures, l’absence de voies de recours, le cadre trop restrictif des exceptions prévues (notamment l’accès au domicile) et des peines maximales trop lourdes (incarcération de courte durée). Elle appelle aussi à «éviter que les interventions soient guidées par des indications fondées sur l’apparence physique et l’origine supposée des personnes» menacées d’un Platzverweis.

Le choix d’octroyer un pouvoir élargi aux bourgmestres n’est, aux yeux de la CCDH, ni nécessaire ni proportionnel. Il manquerait une justification au fait d’attribuer aux édiles, et non pas à la police ou à la justice, la décision d’émettre une interdiction de territoire.

La liberté de manifester également menacée?

La CSL avait sonné l’alerte en premier : «L’extension du Platzverweis (…) a pour objet d’annihiler (…) la liberté des syndicats et de mettre ces derniers sur un pied d’égalité avec des organisations ou bandes de criminalité organisée (…)», visées par le Platzverweis. La CCDH estime que l’entrave à la circulation – une des conditions pour décréter une injonction d’éloignement – peut «constituer un frein à l’exercice de la liberté de manifestation». Il est donc réclamé d’«explicitement exclure» le recours au Platzverweis dans ce cas spécifique.

La disposition incluse dans ce projet s’ajoute à un autre texte qui veut durcir les règles sur les rassemblements en plein air. Une demande devra être introduite au moins cinq jours avant la manifestation. Le bourgmestre pourra se contenter du silence, ce qui équivaudra à un refus d’autorisation.